Un cadeau de Noël en forme de littérature : la publication des nouvelles des lauréats du concours de la librairie Trait-d'Union... avec beaucoup de retard !
Les lauréats, les membres du jury et le président Jean-Claude Lalumière (lunettes et barbe) et Bénédicte notre libraire adorée
Rappel du principe de ce concours : un sujet libre à décliner sur une ou deux pages avec, comme unique consigne, d'y glisser une quinzaine de mots choisis cette année par l'écrivain Jean-Claude Lalumière, auteur de "Le front russe" et de "La Campagne de France", et président du jury. Des mots curieux et étranges qu'il fallait habilement mêler au texte : alcoolisé, schnock, cataracte, iguane, Colisée, télescopique, bernique, tantrique, méticuleux, virgule, bouilloire, virulent, allergique, conservateur, dénoyauteur.
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Jean-Claude Lalumière en séance de dédicaces |
Le jury a eu le privilège de lire les 30 textes proposés pour ce concours, un choix difficile. Bravo à tous d'avoir joué le jeu et de nous avoir enchanté de vos plumes si différentes, de votre imagination sans limite et de votre bonne humeur.
1er prix à Nicolas Lambert
Jour de gloire
Les
vacances à Noirmoutier avec pépé, c’est toujours la même sérénade. Le matin,
plage avec les cousins pendant que pépé va faire ses p’tites courses et son
p’tit tiercé en se jetant le premier (« mais pas l’dernier »)
muscadet derrière la cravate au « Rendez-vous des vieux Schnocks ». Il
l’appelle comme ça son bistrot, pépé, parce qu’il est doté d’un sérieux humour
british. En fait, l’estaminet se nomme « Au rendez-vous des pêcheurs »
mais pépé l’a rebaptisé à sa sauce car il est le cadet du lieu et qu’il a déjà
lui-même épuisé une bonne douzaine de cartes vermeilles même s’il en a pas
besoin car c’est un ancien de la SNCF et qu’il roule en 407 (pépé il dit
« CEU NEU CEU FEU » mais j’vais pas vous donner tous les bons mots de
ce Colisée de la boutade, ça prendrait trop d’place et j’ai que deux pages pour
vous raconter cette histoire). Et allons-y qu’on refait le monde au
« rendez-vous des vieux Schnocks ». « François Hollande, le
changement, c’est navrant ! ». Il y a deux ans, le slogan alcoolisé à
la mode, c’était « Ensemble, tout est nuisible ! ».
J’en
étais où déjà ? Ah, oui, le programme des vacances avec pépé. Le matin, je
crois que j’ai fait l’tour. L’après-midi, plage. Mais pas trop tôt des fois
qu’on s’chope l’hydrocution. « Faut s’mouiller la nuque », il est
virulent, pépé. Il a lu des ouvrages spécialisés sur la chose. A tel point que
ses petits-enfants devraient, paraît-il, lui rembourser sa cataracte au même
titre que la sécu. C’est quand même pour nous et notre survie en eau froide
qu’il a tout bouquiné les soirs d’hiver, à la chandelle, un bon grog infusant
dans sa bouilloire.
Le
soir, par contre, c’est l’aventure. Jamais une veillée pareille que les autres.
Chaque jour que le bon dieu a créé a droit à son animation « especiale ».
Faut dire que les animateurs du camping se creusent les méninges.
Le
lundi et le jeudi, c’est loto à l’hospice de vieux. Et oui, le camping est
voisin d’une maison d’vieux. Le directeur du camping étant un cousin issu de
germain de la gérante de la baraque à frites qui elle-même a épousé en seconde
noce une connaissance de l’armée de la directrice de la maison de retraite, …
Bref, une convention était inévitable entre les deux établissements. Pépé étant
allergique aux soirées télé, méticuleux comme pas deux, il a inscrit toute la
smala pour les 8 lundis et jeudis du loto. Et figurez-vous que j’y prends même
du plaisir. J’m’assois sur les genoux des mamies à ch’veux bleus (« Qu’il
est mignon, le blondinet ! »), pas une mèche qui dépasse de leur
perruque. Elles piquent quand elles m’embrassent mais elles ont toujours une
p’tite sucrerie qui dépasse…
Le
mardi, c’est karaoké. Pépé est le sosie d’Iggy Pop. Sous les sunlights, il se
lâche. Torse nu, pas une virgule de poil sur le poitrail. L’« iguane de
l’Herbaudière » électrise la scène. Ses bras télescopiques partent dans
tous les sens comme le jour où il est tombé d’l’échelle en repeignant le
pavillon de Poissy. Il avait placé son escabeau sur un échafaudage et il
tentait de peindre l’extrême droite du pignon avec sa main gauche. Lui qui a
toujours était attiré par les sectes en tout genre, il a goûté à tout :
les derviches tourneurs, Rael, le tantrisme (il se définit comme un
« ex-tantrique », sacré pépé. Ce jeu de mot-là, j’le comprends pas
mais, pépé, ça l’fait beaucoup rire), j’en passe et des meilleures. P’têt bien
qu’à l’époque, il pensait pouvoir voler. Bref, pépé, il gagne chaque semaine le
concours de karaoké et nous, on est vachement fiers.
Le
mercredi et vendredi, c’est Scrabble. J’insiste pas sur cette activité. Les
retraités sont toujours au rendez-vous. J’en profite pour me faire caresser la
tignasse et bouffer quelques bonbecs mais les mots, c’est pas mon truc. Pépé
est à fond. Il perd à chaque fois mais il insiste. A chaque fois, ça loupe pas,
il s’engueule avec un voisin de table sur l’orthographe d’un mot. Faut dire que
pépé est un peu conservateur, la réforme de l’orthographe ne passera pas par
lui. Gare à toi si tu dis les « Z’haricots », tu risques de pas avoir
de rab de frites. Avec les cousins, on s’fait la belle pendant le Scrabble. On
va draguer au port. Y a les autos-tampons, un vrai aspirateur à gonzesses. Tu
peux parfois embarquer une p’tite pépée qu’a pas le mal des transports. Tu
fourres un j’ton dans le dénoyauteur et c’est parti pour cinq minutes de
voyage. Avec un peu de poésie et d’imagination, on a le temps de faire un
aller-retour direction la lune ou la Grande Ourse. J’crois que vous avez
compris que mes soirées préférées, c’est le mercredi et le vendredi.
N’empêche
que l’autre samedi, j’ai connu mon heure de gloire. Y paraît que chacun a droit
à son quart d’heure, moi, ça a duré une heure et même plus. La salle des fêtes
du camping était comble. C’était le mot croisé géant. On devait facilement être
65 dans la salle. Que des vieux. L’hospice était là, pépé avait même invité des
copains du « vieux Schnock ». La moyenne d’âge et la quantité de
neurones étaient à son apogée. Tout le monde calait sur une définition.
« Appuie le refus » en 8 lettres commençant par un « B »
avec un « q » en 8e position. J’sais pas c’qui m’a pris.
Un éclair de lucidité ? Le doigt de dieu ? La « vista »
comme dit Jean-Pierre Raffarin ? Un truc de dingue, je me suis revu dans
la rue à Poissy, cet hiver quand j’ai proposé à l’aveugle acariâtre de la
maison d’en face de l’aider à traverser le boulevard. Je suis sérieux. J’ai pas
fait les scouts, mais j’ai de l’éducation, moi. Quand je vois un quidam dans la
difficulté, ni une, ni deux, je me porte à son secours. Je sais pas s’il y a un
paradis, mais, pour ma part, je pense que j’y ai tout à fait ma place à la fin
du séjour. Bref, le bigleux n’avait pas son labrador (ça devait être son jour
de relâche), il poireautait depuis une demi-heure au pied du sémaphore. Ca
devait faire quinze fois que le feu alternait vert et rouge. Voyant cela, je
lui propose mon bras : « Hé, m’sieur. Si ça vous chante, je peux vous
mener sur le trottoir d’en face. C’est pas que ce soit mon chemin, mais cela me
ferait bien plaisir de vous rendre ce petit service. Je le ferai pour rien, pas
un centime, juste pour le geste. Ne me remerciez pas ! C’est
naturel ! ». C’est là que l’exacte compilation de maître Capello et Ray
Charles m’a lancé « Bernique, non ! Dégage petit ! ». Dans
la demi-heure, j’étais callé sur mon plumard, le vieux Larousse entre les
pognes à la page 156 entre Berner et Bernois. « Bernique : Marque la
déception ou appuie le refus. »
Et
bien, croyez-moi si vous voulez. Le vieux Marcel et sa madeleine, ses pavés où
on s’casse à moitié la gueule et que ça nous renvoie des flashes de mémoire
involontaire dans la tronche, ça existe vraiment. Quand j’ai vu cette
définition, je me suis trouvé projeté dans la rue avec le binoclard, en même
temps, j’étais dans ma piaule à la page 156 et dans la salle des fêtes du
camping en train d’hurler au milieu d’une foule médusée :
« BERNIQUE ». Les gens se sont bouché les oreilles. Certaines
personnes se sont jetées sous les tables croyant l’apocalypse arrivée. Puis
dans le silence qui a suivi, j’ai répété à plusieurs reprises :
« Appuie le refus, c’est Bernique ! Appuie le refus en 8 lettres,
c’est Bernique ».
Depuis
ce jour, je sens qu’il y a une différence dans le regard de pépé. Il doit
penser que je suis un peu moins con que ses autres rejetons. J’ai le droit de
l’accompagner au bistrot, il m’emmène à la pêche sur son bateau à mes risques
et périls parce que pépé, la météo, il y croit pas.
Deuxième prix à Nicolas Roux

J’entends
encore un bruit. Je suis dans un bus, je crois. Il me regarde avec l’air de
penser que je serai importante. Définitive. Quelque chose comme ça. Il
m’accompagne des Passantes de Brassens. Lèvres absentes.
C’est
la première chose qui a disparu : ma voix. Impossible de me rappeler de ma
voix. Je sais qu’elle était chantante, fière, verticale. Une voix qui sent le
soleil et le sable chaud. Mais on aura beau me donner tous les qualificatifs
qu’on veut, je ne la retrouverai jamais. Une voix ça ne se recrée pas. Alors
parfois, j’ai emprunté celle des autres. Le plus souvent celle de la suivante.
Pour me donner des airs. Une fois, celle du rockeur dont j’ai oublié le nom
mais qu’on appelle l’iguane. Ça m’a bien plu. Mais ce n’était rien que de
l’instinct de survie. Ça ne suffit pas. Une bouteille à la mer. A force de s’y
accrocher, l’espoir fini toujours par vous retomber sur la gueule.
Pourtant, je me suis forgée des
convictions, histoire d’avoir l’impression de mourir pour la cause. C’est toujours
plus agréable de mourir en pensant que la patrie sera reconnaissante. Ça
console. On fait ce qu’on peut. Moi je donnais dans le cent pour cent naturel.
Genre lutte pour le bio. Certifiée sans conservateur ni colorant. Authentique.
Appellation d’origine contrôlée. Mais ce n’était rien d’autre que des tours
Eiffel miniatures. Du Colisée en carton pâte. Du vent. Je deviens transparent.
Il commence même à me manquer des lettres. Ça fait mauvais genre.
J’ai
donné tout ce que j’ai pu, même si ce n’était presque rien. J’ai agité les bras
mais tintin ! Bernique ! Autant essayé de sauver un plancton de la
noyade. J’ai crié au génocide, au crime contre l’humanité, à l’assassinat, mais
sans voix on arrive rarement à se faire entendre. Il aurait fallu que je me
fasse une raison. Voilà. Accepter de n’être qu’une virgule dans une phrase sans
ponctuation. Ce n’était pas dans mon caractère. Je suis allergique à l’abandon,
réfractaire au baissage de bras. Je suis ambitieuse. Je rêvais d’une belle
mort. Un accident de voiture, un crash d’avion, ou, puisque c’est la saison, un
déraillement. Après, je voulais bien être un parmi les autres. Je ne réclame
même pas d’être le point final. Mais une virgule quand même. Au lieu de ça je
m’efface doucement dans l’indifférence la plus totale. Et on est des millions
dans mon cas. Tous les jours. Mais qui se soucie des anonymes et de leur
nombre télescopique ?
Je les
ai vus arriver. Un par un. Timide baissant les yeux. A deux doigts de me demander
des conseils pour survivre. Et aujourd’hui, il me pousse d’un coup de fesses
vers la sortie. La fille avec le cul en bouiloire, celle qui pratiquait le sexe
tantrique, celle dont il a oublié le nom, celle de la boucherie, celle du
train, celle du livre. Pourquoi elles et pas moi ? Pourquoi moi et pas
elle ?
Il a
dit qu’il m’aimait. Même si c’était pour une seconde c’était pour toujours.
L’amour c’est comme ça, toujours pour toujours quelque soit le temps que ça
dure. Ce n’était même pas une promesse alcoolisée. Il avait deviné dans mes
yeux la tristesse, la mélancolie. Alors que je riais, il avait vu. Il aurait pu
tuer ceux qui prétendaient que ce n’était que du vent. Des pansements pour le
cœur. Des bonbons pour l’âme. Il était virulent contre ceux qui prétendaient
que cette histoire avait la durée de vie d’un dénoyauteur dans une famille de
carnivore. Il y croyait. Alors moi aussi. Mais c’était menti. Il a suffit de
rien. Juste qu’il soit heureux. Le bonheur ça détruit tout.
Je
ne crève pas, je m’effa… Il faut que je m’économise. Je suis, non j’étais, un
souvenir.
3e prix à Sandrine Joseph

Bernique pour un vieux
schnock
J'avais débarqué un matin
de juin à Dublin. Mon agence de com’ m’envoyait
passer l’automne à former de nouveaux graphistes dans le pays du
trèfle, et il me fallait un toit. Tout ce que j’en connaissais venait des « Dubliners » de
Joyce, c’est dire si ça datait. Par hasard, un taxi vert m'avait
largué non loin de Temple Bar, quartier de fêtards impénitents,
de guitares brûlantes et de pubs
effervescents, cuvant le jour ses nuits de bœuf alcoolisé. Une odeur de bière tiède et
de dégueulis flottait dans l’air épais.
Seuls les rockers du « Wall
of Fame », pour un instant figés en négatif
de mur, semblaient vouloir s'agiter encore. U2 me
sautait à la tronche, et avec eux toute
ma jeunesse… Mais les poils de ma barbe
grisonnante planquaient difficilement mes sillons de vieux schnock. J'avisais la
terrasse du West Coast Coffee, un bar au crépis
blanc à l'angle de Cecilia Street,
histoire de siroter un double noir tout en épluchant
les annonces. Au moins servaient-ils des expressos, une denrée plutôt
rare dans ces contrées celtiques. J’avais bien besoin d’une pause, loin de ces siroteuses de jus de
concombre mixé à la « beetroot » (rien que le nom me faisait frémir), pelure de gingembre et shot de spiruline.
100% bio et sans conservateurs. Moi qui avais tant bavé devant ces lianes au nombril dénudé, je
devenais allergique aux fleurs de Primrose Hill. J’en aurais même
descendu une Guinness à jeûn, c’était
dire. Le fond de l’air me dardait le poil,
mais j’avisai une table en
terrasse où je pourrais en griller
une. La serveuse gothique repartit nonchalamment avec ma commande de bon parigot,
boudant un peu que je ne me tartine pas en prime le fameux « cheese on toast », et
je suivis d’un œil distrait l’iguane
ondulant sur sa hanche fine.
Peu de passants à cette heure matinale. Je sirotais mon café comme un junkie en manque, le regard
vaguement fixé sur Chaddagh Records, le
magasin de vinyles d’en face. Authentique
dinosaure où s’affichaient pêle-mêle les pochettes rétros de harpistes en cheveux, des Pogues, de Johnny
Brady et des Chieftains : un
joyeux mélange… Pourvu que ça
gratte, tout sonne bon en Irlande. Ca devait être ça, « The
Rocky Road to Dublin ». Les neurones nicotinés, j’allais
enfin plonger le nez dans mon canard quand je la vis. Une déesse antique assise du bout des fesses sur l’une des chaises jaunes et rouillées du bar :
pile dans mon angle de tir. Son sein blanc. Comme une panacotta moulée dans l’échancrure.
L'œil roi aussi bleu pétant
que sa blouse de soie. Des cils… Boticelliens.
Son visage poupon piqué de
son semblait perdu sous un cataclysme de boucles mousse rousse. Une apparition
digne de Vermeer, la jeune fille à la
perle ôtant son turban. Son auréole céleste
me grillait les prunelles. Un buisson ardent où sûr, j’allais
sombrer dans le culte monothéiste
de sa destinée. Même les violons de Chaddagh suspendaient leur archet,
en berne. C'était pourtant des violons
dingues, comme la cascade caracolante du parc St Stephen's Green. Une fontaine
de jouvence noyait mes déambulations
terre-à-terre. Elle repoussa
machinalement une mèche en virgule qui lui agaçait l’œil.
Des chapelets de boules ébène dégringolaient
de son cou d’opale le long de ses bras nus : femme jaboticaba dont je désirais, virulent, passer dénoyauteur. Sucer la pulpe tendre et rose. Je
frôlais la cataracte, et mon cou soudain télescopique se démanchait
pour ne pas en perdre une miette : la
façon dont elle rejetait la nuque en arrière d’un
petit coup sec, la vague de sa toison d’or déferlant sur l’épaule.
Comme elle se tortillait sur sa chaise pour l’avancer
vers la table dans un crissement, ses hanches sous la table, que je devinais élastiques, le morceau de sucre candy qu’elle cassait entre les dents, ses mains de
pianiste dont elle suçait
les grains mica… Foudroyé là, paf ! En position tantrique. Aleph, Alpha, j’en perdais mon latin. La bouilloire chantant à tue-tête sur
le bar n’avait rien à envier à ma
pauvre caboche. Hypnotisé par
l’empreinte rouge de ses lèvres en décalcomanie
de tasse, j’expérimentais le complexe du homard, virai rouge écrevisse, sans même l’excuse
du soleil. La glotte affolée
telle une boule de flipper, je glissais d’extatique
à exsangue. Une sueur coupable me dégoulinait entre les omoplates, et il devenait
urgent de tourner ma cuillère
dans le vide avec un soin méticuleux… J’avais
la sensation inouïe de passer du « Wall of Fame » au
Colisée, jeté en
patûre à une créature mythique. Avec ma bénédiction.
C’était mon Bloom’s day
à moi ! Hallucination
olfactive, j’en aurais presque senti les
effluves citronnées du savon de Sweny’s… Mais
j’avais beau m’agiter
comme un pauvre diable, consumer clop sur clop, la belle restait concentrée sur les pages de son magazine de mode. Pâle figure, je ne rivalisais même pas avec les Ulysse de pacotille sur papier
glacé. La divine demeurait intouchable, le visage
penché, les anglaises en rideau, parfois songeuse
lorsqu’elle relevait son charmant
minois. Mais jamais vers moi.
Enfin, sa théière
apparemment sifflée, elle sembla sortir de sa
torpeur tanique, s’ébroua un peu en refermant
son journal. Elle releva sa bille d’ange.
Son regard bleu me traversa comme un ectoplasme, puis elle héla la serveuse au tatouage. C’était maintenant ou jamais ! L’intercepter,
lui offrir sa consommation, lui asséner « Le fond de l’air
est frais, non ? »… N’importe
quoi ! Mais avant que je n’aie pu vomir une quelconque imbécillité, elle
sourit presque tendrement, ouvrit sa bouche perlée… Le temps se suspendait… Mon sourire de benêt élargissait
ma face lobotomisée. Un rayon de soleil incertain
lui caressa la joue, qui m’apparut
un peu ombrée. Je lui trouvai le biceps
saillant. Puis sa voix jaillit soudain :
rauque, profonde et grave… Aussi
râpeuse qu'une Guinness.
Les trémolos d’un
mec… Foin de Molly Malone : un homme !
Bernique !
Prix "Patate" (catégorie qui récompense un texte inspiré de l'Île de Noirmoutier) à Louis Gibier
Un chemin dans la mer
La charrette est attelée. Auguste, le tailleur de la rue de l'Arée, s'est levé de bonne heure, afin de préparer le cheval. Marie, sa jeune épouse, est inquiète :
- Auguste, tu es fou de prendre de tels risques. N'y va pas !
- Fait moi confiance, j'y arriverai, répond-t-il, en surveillant l'eau du café qui frémit dans la bouilloire.
- J'ai promis à Maître Rozier de lui livrer son costume à Beauvoir ce matin, pour la noce de sa fille, marmonne-t-il en avalant quelques cuillères d'un clafoutis, dont les cerises ont été passées au dénoyauteur des mains expertes de Marie.
- Seul, plusieurs fois, tu as failli y rester, souviens-toi ! Le cheval est lourd. Il n'a encore jamais marché dans la mer. C'est absurde de tenter une telle aventure.
- Marie, tu me connais, je vais rester à ses côtés pour mieux le guider et le rassurer. - La pauvre bête, si elle s'enlise sur un banc vaseux, tu n'y pourras rien. Elle y restera et toi avec... tu n'es pas raisonnable ! Le costume, tu pouvais lui porter par bateau. Pitre Gorlet, le passeur, traverse la baie quasiment tous les jours.
- Marie, depuis le temps, j'y ai pris mes repères. Aujourd'hui, toutes les conditions sont réunies pour effectuer le trajet.
- Certes, la marée sera large, mais tenter cela avec un cheval et une charrette, c'est du jamais vu sur l'île !
- Je réussirai marie. Aie confiance !
Sur le pas de la porte, Auguste, le béret noir visé sur son crâne comme une bernique, jette un regard sur la girouette du clocher, et droit dans ses sabots, se dirige vers son cheval qui trépigne dans l'aire.
Marie l'a suivi, portant dans ses bras le costume soigneusement recouvert d'un drap blanc.
Auguste, d'un geste méticuleux, le place sur le plancher de la charrette.
- Auguste, promets-moi de revenir si le cheval a peur. N'insiste pas s'il refuse à la mer... clame-t-elle en essuyant une larme. Il pose un baiser délicat sur son front et la serre très fort contre lui.
Debout, solidement calé à l'avant de la charrette, Auguste agite les rênes d'un geste virulent.
- Allez Bijou, on y va !
L'attelage se met en branle, tandis que Marie, restée immobile au milieu de la cour, observe son déhanchement aux ornières du chemin. Elle agite sa main pour dire au revoir, mais Auguste ne se retournera pas.
Le bourg ouvre un œil, Firmin Breton, le boulanger du Bois Gaudin est à son fournil. La cheminée du four crache une épaisse fumée blanche. Une bonne odeur de bois et de pain caresse au passage les narines d'Auguste. Dans la grande rue, Florentine Caret, l'épicière, toujours aussi mal coiffée, s'affaire à sa devanture. Cataracte naissante, elle ajuste ses lunettes sur son nez. Quel étonnement dans son regard de voir à cette heure passer Auguste en habits du dimanche! Un vieux schnock, le marginal du village dont on a oublié le nom, alcoolisé jusqu'au bout des doigts de pieds, la peau tannée comme celle d'un iguane, fidèle à son poste, finit de cuver sa cuite à l'angle de la venelle des Trois Ivrognes.
Auguste se signe devant le vieux calvaire qui marque la limite du bourg et des champs, et, pressant le pas du cheval, s'engage dans la grande charreau qui mène à la mer. Une légère brume couvre le lit des champs, une fine soierie tissée entre le ciel qui flamboie et la terre qui fume. Le signe annonciateur d'une chaude journée.
Un sourire apparait sur ses lèvres. Cette brise marine qui lui caresse les joues annonce l'estran tout proche. Les effluves de varech et de vase se font plus forts et plus âcres. Mais ce parfum de mer n'a pas son pareil pour enivrer un îlien.
- Doucement Bijou !
Visiblement, le cheval n'est pas allergique à ces émanations. Il connaît bien cet endroit. Souvent, il vient ici avec ses maîtres. C'est là le terme de leurs balades amoureuses des jours de fête. En extase face à l'élégante beauté du paysage, ils échangent quelques baisers. Une pause souvent trop longue pour bijou qui, tapant du sabot, montre son impatience de revenir au village.
Mais aujourd'hui n'est pas un jour comme les autres. Là, n'est pas la fin du chemin.
- Oh ! Oh là, Bijou... crie Auguste.
L'attelage s'arrête entre les arroches de mer, à la lisière de l'estran vaseux scintillant de mille perles d'eau et de sel. Auguste descend de la charrette, s'approche du cheval qui souffle fort et pose sa main sur ses naseaux. Un encouragement sans doute... Devant eux, s'étire et s'étend le domaine de la mer. D'un regard circulaire, Auguste en prend la mesure. Ici, la mer est un monument, un Colisée, un évènement lorsqu'elle s'efface comme par magie, le temps d'une marée. Elle vient de laisser place à un immense jardin de sable blond et gris, orné des plissements du flot qui se retire, d'algues brunes et de galets polis.
Auguste a sorti sa lunette télescopique de sa sacoche en cuir, fait main. Une lunette d'un aïeul héritée de son défunt père. On est conservateur dans la famille !Il fixe longuement le rivage d'en face, ondulant dans le flou de la chaleur qui monte, pour discerner le bosquet de la Crosnière dans ce lointain qu'il faut atteindre. Il incline le corps pour exprimer son respect à la nature, implorer son Dieu, comme une adoration, un geste tantrique diraient certains.
Un jour, les hommes de cette île, avides de liberté, profitant des absences de la mer, ont marché dans son lit pour tracer un chemin. Avec leurs pieds, avec leurs yeux, d'expérience en expérience, ils ont écrit et mémorisé ce passage, et atteint l'autre rive.
Auguste connaît parfaitement l'écriture du chemin. A la virgule près, il a appris à distinguer du sable et de la vase, à jauger de la solidité de tel ou tel banc de sable, à mesurer ses pas, calculer le temps, à évaluer les risques d'une soudaine brume, d'un fulgurant orage, et tendu un fil d'une berge à l'autre.
Après avoir retiré sabots et chaussettes pour mieux sentir sous ses pieds cette trace invisible, il empoigne le bridon de mors, et engage fièrement le pas sur le sable.
- Allez Bijou !... Toi aussi tu vas marcher dans la mer.
1766 - Selon une légende, Auguste Gauvrit, tailleur à Barbâtre, sur l'Île de Noirmoutier, aurait été le premier à traverser avec son cheval, la baie de Bourgneuf entre l'Île et le continent.
Le chemin emprunté alors, à marée basse, situé sur les bancs de sable les plus fermes et les plus hauts, et devenu depuis le passage du Gois - un passage unique au monde.
Hors catégorie mais coup de cœur du jury, un poème... de Bénédicte Berlinger
Le Rajah et son jardinier
Comme chaque jour de l'été
Au palais, le vieux rajah
Invite son jardinier
A partager le repas.
Sur la terrasse très tôt
Un valet méticuleux
Dresse la table qui bientôt
Se charge de mets somptueux.
A cette grande agitation,
Le prince, très allergique
Préfère méditation
D'un choix de textes tantriques;
Puis du haut de l'escalier
Il va attendre, appuyé
Sur sa canne télescopique
La venue de l'hôte unique.
Mais la matinée se passe
Ni jardinier ni personne
A la table du prince
Quand l'heure du repas sonne.
Aux heures chaudes de
la journée
Dans son cabinet secret
Où, curieux conservateur,
Le prince a collectionné
Des onguents de grande valeur,
Il prépare sans ardeur,
Espérant pouvoir soigner
Une cataracte avancée,
Un filtrat alcoolisé
De poudre d'iguane séché.
Quand vient l'heure du thé du soir
Et que siffle la bouilloire,
Toujours seul, il perd espoir
Que quiconque monte
le voir.
Alors, comme un gladiateur
Entre dans le Colisée,
Le vieux, bernique et vexé,
S'arme d'un dénoyauteur
Et, le sourcil en virgule,
D'un pas de nouveau alerte
Se lance au crépuscule
A la recherche de l'absent!
Rien ne sert d'être virulent,
"Vieux Schnok !",
Pas de véritable ami
Sans une vraie sympathie…
C'est autour d'un bon repas, comme tout prix littéraire qui se respecte, que les membres du jury ont délibéré.
Inès nous offre gentiment sa recette de "salade Grand Jury" et ses "petits cannelés salés" qui font appel à l'imagination de chacun. Florence, celle de ses petits gâteaux "coup de cœur"
OK, je sais, à la veille de Noël, des recettes qui sentent le soleil et la chaleur, mais bon...
Ingrédients
5 pêches ou brugnons
2 cuillères à soupe de miel
150g d’amandes en poudre
150g de sucre
200g de beurre
4 œufs
200g de farine
Levure chimique (un demi sachet)
Faire rissoler les petits dés de fruits avec un peu d’huile et le miel
Faire la pâte : mélanger les autres ingrédients
Incorporer les fruits
Cuisson : 15 à 20 mn four – 150 / 200°
La charrette est attelée. Auguste, le tailleur de la rue de l'Arée, s'est levé de bonne heure, afin de préparer le cheval. Marie, sa jeune épouse, est inquiète :
- Auguste, tu es fou de prendre de tels risques. N'y va pas !
- Fait moi confiance, j'y arriverai, répond-t-il, en surveillant l'eau du café qui frémit dans la bouilloire.
- J'ai promis à Maître Rozier de lui livrer son costume à Beauvoir ce matin, pour la noce de sa fille, marmonne-t-il en avalant quelques cuillères d'un clafoutis, dont les cerises ont été passées au dénoyauteur des mains expertes de Marie.
- Seul, plusieurs fois, tu as failli y rester, souviens-toi ! Le cheval est lourd. Il n'a encore jamais marché dans la mer. C'est absurde de tenter une telle aventure.
- Marie, tu me connais, je vais rester à ses côtés pour mieux le guider et le rassurer. - La pauvre bête, si elle s'enlise sur un banc vaseux, tu n'y pourras rien. Elle y restera et toi avec... tu n'es pas raisonnable ! Le costume, tu pouvais lui porter par bateau. Pitre Gorlet, le passeur, traverse la baie quasiment tous les jours.
- Marie, depuis le temps, j'y ai pris mes repères. Aujourd'hui, toutes les conditions sont réunies pour effectuer le trajet.
- Certes, la marée sera large, mais tenter cela avec un cheval et une charrette, c'est du jamais vu sur l'île !
- Je réussirai marie. Aie confiance !
Sur le pas de la porte, Auguste, le béret noir visé sur son crâne comme une bernique, jette un regard sur la girouette du clocher, et droit dans ses sabots, se dirige vers son cheval qui trépigne dans l'aire.
Marie l'a suivi, portant dans ses bras le costume soigneusement recouvert d'un drap blanc.
Auguste, d'un geste méticuleux, le place sur le plancher de la charrette.
- Auguste, promets-moi de revenir si le cheval a peur. N'insiste pas s'il refuse à la mer... clame-t-elle en essuyant une larme. Il pose un baiser délicat sur son front et la serre très fort contre lui.
Debout, solidement calé à l'avant de la charrette, Auguste agite les rênes d'un geste virulent.
- Allez Bijou, on y va !
L'attelage se met en branle, tandis que Marie, restée immobile au milieu de la cour, observe son déhanchement aux ornières du chemin. Elle agite sa main pour dire au revoir, mais Auguste ne se retournera pas.
Le bourg ouvre un œil, Firmin Breton, le boulanger du Bois Gaudin est à son fournil. La cheminée du four crache une épaisse fumée blanche. Une bonne odeur de bois et de pain caresse au passage les narines d'Auguste. Dans la grande rue, Florentine Caret, l'épicière, toujours aussi mal coiffée, s'affaire à sa devanture. Cataracte naissante, elle ajuste ses lunettes sur son nez. Quel étonnement dans son regard de voir à cette heure passer Auguste en habits du dimanche! Un vieux schnock, le marginal du village dont on a oublié le nom, alcoolisé jusqu'au bout des doigts de pieds, la peau tannée comme celle d'un iguane, fidèle à son poste, finit de cuver sa cuite à l'angle de la venelle des Trois Ivrognes.
Auguste se signe devant le vieux calvaire qui marque la limite du bourg et des champs, et, pressant le pas du cheval, s'engage dans la grande charreau qui mène à la mer. Une légère brume couvre le lit des champs, une fine soierie tissée entre le ciel qui flamboie et la terre qui fume. Le signe annonciateur d'une chaude journée.
Un sourire apparait sur ses lèvres. Cette brise marine qui lui caresse les joues annonce l'estran tout proche. Les effluves de varech et de vase se font plus forts et plus âcres. Mais ce parfum de mer n'a pas son pareil pour enivrer un îlien.
- Doucement Bijou !
Visiblement, le cheval n'est pas allergique à ces émanations. Il connaît bien cet endroit. Souvent, il vient ici avec ses maîtres. C'est là le terme de leurs balades amoureuses des jours de fête. En extase face à l'élégante beauté du paysage, ils échangent quelques baisers. Une pause souvent trop longue pour bijou qui, tapant du sabot, montre son impatience de revenir au village.
Mais aujourd'hui n'est pas un jour comme les autres. Là, n'est pas la fin du chemin.
- Oh ! Oh là, Bijou... crie Auguste.
L'attelage s'arrête entre les arroches de mer, à la lisière de l'estran vaseux scintillant de mille perles d'eau et de sel. Auguste descend de la charrette, s'approche du cheval qui souffle fort et pose sa main sur ses naseaux. Un encouragement sans doute... Devant eux, s'étire et s'étend le domaine de la mer. D'un regard circulaire, Auguste en prend la mesure. Ici, la mer est un monument, un Colisée, un évènement lorsqu'elle s'efface comme par magie, le temps d'une marée. Elle vient de laisser place à un immense jardin de sable blond et gris, orné des plissements du flot qui se retire, d'algues brunes et de galets polis.
Auguste a sorti sa lunette télescopique de sa sacoche en cuir, fait main. Une lunette d'un aïeul héritée de son défunt père. On est conservateur dans la famille !Il fixe longuement le rivage d'en face, ondulant dans le flou de la chaleur qui monte, pour discerner le bosquet de la Crosnière dans ce lointain qu'il faut atteindre. Il incline le corps pour exprimer son respect à la nature, implorer son Dieu, comme une adoration, un geste tantrique diraient certains.
Un jour, les hommes de cette île, avides de liberté, profitant des absences de la mer, ont marché dans son lit pour tracer un chemin. Avec leurs pieds, avec leurs yeux, d'expérience en expérience, ils ont écrit et mémorisé ce passage, et atteint l'autre rive.
Auguste connaît parfaitement l'écriture du chemin. A la virgule près, il a appris à distinguer du sable et de la vase, à jauger de la solidité de tel ou tel banc de sable, à mesurer ses pas, calculer le temps, à évaluer les risques d'une soudaine brume, d'un fulgurant orage, et tendu un fil d'une berge à l'autre.
Après avoir retiré sabots et chaussettes pour mieux sentir sous ses pieds cette trace invisible, il empoigne le bridon de mors, et engage fièrement le pas sur le sable.
- Allez Bijou !... Toi aussi tu vas marcher dans la mer.
1766 - Selon une légende, Auguste Gauvrit, tailleur à Barbâtre, sur l'Île de Noirmoutier, aurait été le premier à traverser avec son cheval, la baie de Bourgneuf entre l'Île et le continent.
Le chemin emprunté alors, à marée basse, situé sur les bancs de sable les plus fermes et les plus hauts, et devenu depuis le passage du Gois - un passage unique au monde.
5 pêches ou brugnons
2 cuillères à soupe de miel
150g d’amandes en poudre
150g de sucre
200g de beurre
4 œufs
200g de farine
Levure chimique (un demi sachet)
Faire rissoler les petits dés de fruits avec un peu d’huile et le miel
Faire la pâte : mélanger les autres ingrédients
Incorporer les fruits
Cuisson : 15 à 20 mn four – 150 / 200°
Salade "Grand Jury"
Blancs de seiche cuites à la vapeur avec 3 étoiles de badiane et passées rapidement à l'huile d'olive avec un peu d'ail et de persil.
Ajouter un riz pilaf et quelques poivrons rouges grillés.
Sur le dessus, ajouter des pignons ou des graines de pavot et de sésame grillées.
Saler, poivrer et saupoudrer de paprika pour le goût et la couleur.
Cannelés salés
Un petit verre d'huile d'olive dans un saladier, une pincée de gros sel et un choix généreux d'épices (curry, curcuma, cumin, piment)
Ajouter 3 œufs entiers et battre au fouet en omelette.
Ajouter, selon vos provisions, olives en petits morceaux (un petit bocal) ou poivrons en dés (3 poivrons) ou laisser tout simplement parler votre imagination.
Mélanger grossièrement.
Ajouter en une fois 300 gr de farine et un demi sache de levure.
Remuer le moins possible (arrêter dès que la farine est absorbée dans le mélange)
Cuire à four moyen jusqu'à ce que les cannelés soient dorés.
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