Et pendant ce temps là... la fille du boulanger dansait !
Ce lundi 22 février, un article de Ouest-France relate le sauvetage de l'Atlante en août 1957, un acte de courage de la part de l'équipage de la SNSM.
Sur la photo on peut voir Maryvonne Néau, fille du boulanger de l'époque, témoin, s'il en est, de ce naufrage qui fit s'échouer sur la plage de l'Herbaudière, non seulement l'Atlante mais avec lui son mari, le bel officier, radio du bord.
Une histoire vraie racontée, avec l'accord et l'aide de Maryvonne, pour le concours de nouvelles organisé chaque année par les Editions Past'Elles et le Salon du Livre et des Arts de l'Epine. Le thème de 2015 était Naufrage à Noirmoutier.
Ce texte a eu le privilège d'être classé troisième et d'être édité par Past'Elles.
Je vous en propose la lecture avec la gentille autorisation de la maison d'édition.
Bonne lecture !!!
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Et pendant ce
temps là…
la fille du
boulanger dansait
8 août 1957, aux
alentours de minuit.
Quelques jours plus tôt, le cargo
Atlante a quitté le port de Ghuelva avec une cargaison de minerai à convoyer à
Saint-Nazaire. Une ambiance bon enfant règne à bord. La présence des femmes du
mécanicien et d’un matelot donne à la traversée des allures de croisière. C’est
l’été, le ciel est lumineux, la mer calme. Le cargo croise au large de
l’embouchure de la Gironde.
Arturo, le radio de bord, jeune
élève officier, a rejoint sa cabine après avoir relevé les annonces météo. Il
reprendra son quart au matin, sauf si un appel confirme l’avis de coup de vent
pour le lendemain. Il rêve. Il pense à ses parents, à Madrid sa ville natale,
et à ce désir d’être marin. Il a toujours eu l’intuition d’une vie ailleurs, de
rivages étrangers, d’aventures sous d’autres soleils. Il a lu avec passion les
péripéties de Christophe Colomb dans ses livres d’école ; avec lui, il a
traversé des océans et rencontré d’autres civilisations. Il aime son pays mais
s’y sent à l’étroit.
Depuis un an, le régime de Franco
s’est assoupli. L’Espagne est entrée au sein de l’ONU et, dans la capitale, on perçoit un timide
changement de mentalités. Cet horizon qui s’élargit lui souffle encore plus de
désirs pour les grands espaces et la liberté. La mer, seule, peut le porter
vers son destin, vers sa vie.
Arturo ne peut s’endormir. Il a
22 ans et, comme tous les jeunes hommes du monde entier, il rêve de l’âme sœur.
Avec son physique d’acteur de cinéma, il fait tourner les têtes et les cœurs,
mais il n’a pas encore rencontré l’élue. Il la reconnaîtra au premier coup
d’œil, c’est sûr.
Il sourit à cette pensée, qu’il
garde secrète depuis son plus jeune âge. Il se trouve ridicule de poursuivre ce
mythe du prince charmant version féminine. Mais il sait que quelqu’un l’attend,
ailleurs, loin.
Bercé par le roulis, coincé dans
son étroite couchette, Arturo dort. Imperceptiblement, les mouvements du bateau
ont changé de rythme. Les vagues ne portent plus la coque, enveloppantes et
voluptueuses, elles l’attaquent de brefs coups secs et font résonner le métal.
Le navire est arrivé au rendez-vous du mauvais temps annoncé la veille. Arturo
se retourne dans son sommeil, se recroqueville sous sa couverture, profitant de
ses dernières minutes de confort et de tranquillité, au sec.
Une sonnerie retentit. Arturo
saute de son lit. Il s’habille en hâte et rejoint son poste. Il sait que cet
appel est un message de la station météo la plus proche, le Conquet ou Land’s
End en Angleterre, pour informer d’une détérioration du temps. Lorsqu’il arrive
sur la passerelle, José, le capitaine, est à son poste. Une lueur tremblante
annonce le lever du jour et laisse deviner un ciel de nuages lourds de pluie et
de vent. Arturo s’installe devant sa radio, fixe ses écouteurs pour apprendre
que le temps très agité, annoncé la veille, va se transformer dans les
prochaines heures et, particulièrement dans le Sud Bretagne, en un coup de vent
rarement observé à cette époque de l’année. Le capitaine donne des ordres de
routine. Des coups de chien, il en a bravé cours de sa carrière, et sur des
mers autrement capricieuses... Ses seules contrariétés : la présence des
deux femmes à bord et le retard inévitable pour livrer sa cargaison.
Une faible lumière perce à
travers les nuages. Les vagues se découvrent, luttant furieusement contre la
progression du bateau. Elles se succèdent, telles une armée innombrable à
l’assaut de la poupe du cargo qui les écrase une à une, se frayant un passage
au milieu de ces troupes liquides. Brusquement, la nuit semble tomber à nouveau
sur la mer et la pluie se déverse, furieuse de pas avoir été invitée à ce
ballet grandiose dirigé par un chef d’orchestre tout-puissant, le vent de
Nord-est, glacial. Inlassables, les lames attaquent la proue du cargo et le
redressent sur sa crête. Il retombe en roulant de bâbord sur tribord pour, à
nouveau, subir l’assaut d’une seconde lame. Tous les marins sont à leur poste,
les gestes sûrs malgré les chocs répétés des vagues. La route sera longue jusqu’à
Saint-Nazaire.
Arturo ne rêve plus, attentif aux
messages reçus. Le jour s’est levé sous un ciel de nuages noirs et l’Atlante
poursuit son cap, confiant en la protection de la Vierge du Carmel, patronne
des marins espagnols, dont la statue, fixée à la pomme du grand mât, veille.
9 août 1957 à
l’Herbaudière
Le port de l’Herbaudière, au nord
de l’Île de Noirmoutier, ne connaît pas l’effervescence habituelle. L’annonce
d’un coup de vent sérieux a laissé au mouillage tous les bateaux de pêche. Le
matin gris a vite été balayé par un vent froid, bientôt chargé de pluie. Le
baromètre a chuté brutalement. Du jamais vu à cette époque de l’année. À marée
basse, les pêcheurs ont vérifié les amarres de leurs bateaux, fixé leur
matériel, car malgré les deux digues qui ferment ce port d’échouage, par grosse
tempête, les bateaux sont fortement chahutés. Les mouettes elles-mêmes
s’enfuient dans les terres en poussant leurs cris perçants et rasent les toits
en grands cercles concentriques.
Par acquis de conscience, et
aussi par désœuvrement, Pierre Boucheron, le patron du canot de sauvetage le Georges Clémenceau, est passé au hangar,
à l’extrémité de la nouvelle digue, s’assurer que tout est en ordre, au cas où…
Sur la jetée, il croise Camille Bonin, le mécanicien-radio. Comme lui, il a
décidé de ne pas sortir à cause du mauvais temps. Et pourtant, une journée de
pêche en moins compte dans le budget des familles de marins car, comme chacun à
coutume de dire, « Ce n’est pas dans l’port qu’on gagne sa vie !»
Mais, si un bateau est en péril, ils n’hésiteront pas à embarquer à bord du Georges Clémenceau, quel que soit l’état
de la mer. Ils sont sauveteurs. Leurs pères l’étaient avant eux et rien ne les
empêcherait d’aller porter secours. Leur inspection terminée, ils remontent
vers le quai et s’arrêtent pour discuter au café La Terrasse avant de rentrer chez eux. Le vent redouble de
puissance en fin d’après-midi alors que la marée commence à descendre, laissant
craindre des rafales plus importantes dans la nuit, lorsque la mer sera pleine.
Et la pluie tombe sans discontinuer, tantôt fine, tantôt drue. Chargée
d’embruns, elle laisse un goût salé sur les lèvres.
Face au port, les lumières de la
boulangerie sont allumées, comme en hiver. Une cliente tardive grimpe
rapidement les marches du perron avant de pousser la porte. Le tintement de la
clochette fait sortir de l’arrière-boutique Marguerite, les cheveux tirés en
chignon bas sur la nuque, altière et souriante. La cliente ne s’éternise pas en
bavardages comme à l’accoutumé. Quelques commentaires sur le temps, son
soulagement de savoir son mari à terre, elle paye son pain de deux livres et se
hâte, la tête dans les épaules, le fichu noué sous le menton. Marguerite
regagne l’arrière-boutique. Ne reste, pour accueillir le prochain client, que
la tête de Pierrot Gourmand, jovial et rigolard, hérissé de sucettes colorées, et
souriant au rideau de pluie qui fouette la vitrine.
Il n’est pas le seul à rire dans
la boulangerie : des éclats de voix et des fous rires s’échappent de
l’appartement où la fille de Marguerite et son amie parisienne se préparent
pour aller danser Salle de la Jeunesse.
Chaque vendredi, il y a bal chez
Irma et tous les jeunes attendent la fin de la semaine pour s’y retrouver. On y
vient même de l’Épine à travers les marais en empruntant les charreaux.
Maryvonne, l’Herbaudrine, et Christine, la Parisienne , ont à peine
pris conscience du mauvais temps, fort occupées à décider de leurs tenues.
Elles ont 20 ans et, comme toutes les filles, rêvent de ressembler à Brigitte
Bardot. Elles n’ont pourtant pas vu « Et Dieu Créa la Femme » sorti l’année
précédente au cinéma, interdiction formelle des parents. Mais l’onde de
scandale a envahi les journaux et le style « Bardot » s’est répandu à
la même vitesse.
Marguerite, la maman de
Maryvonne, a cousu pour chacune une large jupe en vichy, rouge pour la brune,
bleue pour la blonde. Et elles virevoltent sur leurs ballerines, la taille
soulignée par une large ceinture. Elles s’admirent dans le miroir de l’armoire
de la chambre à coucher, leurs jupes retombent en corolle à mi-mollets.
Maryvonne hésite entre un tee-shirt noir moulant, découvrant ses épaules, et un
caraco rouge. Marguerite conseille le caraco, plus « sage » à son
goût, tandis que Christine enfile un pantalon corsaire sous sa jupe, en riant
de la surprise affichée par la maman de son amie d’enfance. Le carillon de la
sonnette rappelle Marguerite au magasin. Pendant ce temps, les filles en
profitent pour se maquiller : œil souligné d’eye-liner, bouche savamment
dessinée et peinte en rouge vif.
Maryvonne s’amuse en imaginant la
réaction de sa mère lorsqu’elle découvrira ses filles
« fardées », comme elle dit. Il va falloir négocier dur pour être
autorisées à sortir ainsi. Christine secoue la tête, étudiant dans le miroir
l’ondulation de ses cheveux blonds bouclés. Maryvonne rassemble les siens en
arrière avec un large bandeau qui encadre parfaitement l’ovale de son visage.
Brusquement, elles réalisent que Marguerite s’est absentée depuis longtemps.
Des voix agitées parviennent de la boutique créant un brouhaha inhabituel.
Quelques minutes plus tard, Marguerite revient crispée et inquiète. Pierre
Boucheron a intercepté le SOS d’un cargo échoué sur les rochers des Bœufs. Les
membres de l’équipage ont été avertis et ils s’apprêtent à mettre à l’eau le
canot de sauvetage. D’un geste instinctif, Maryvonne referme sa main sur la
médaille de la Vierge
qu’elle porte autour du cou et machinalement récite une supplique à Marie.
Il est 18h30, le vent semble un
peu calmé, les rayons d’un faible soleil réussissent à traverser l’épaisseur
des nuages noirs. La mer a commencé à se retirer et les bateaux de pêche se couchent
doucement sur le flanc pour un repos mérité. Tout l’après-midi, ils ont été
chahutés de bâbord sur tribord, tirant sur leurs amarres.
C’est à 17h45 que Pierre a capté,
sur sa radio, le message de détresse de l’Atlante. Il a immédiatement donné
l’alerte et réuni son équipage. Ils sont tous là : son frère Alix, le plus
grand de tous, Désiré avec son béret visé sur la tête, les deux Pineau
Constantin et Louis, Camille costaud et sanguin, Louis et sa casquette. Marins-pêcheurs,
ils savent le danger d’embarquer à bord du Georges
Clémenceau ce jour là, pourtant aucun n’a hésité à se précipiter pour
porter secours. L’heure n’est pas à la réflexion. Il faut mettre le canot à
l’eau le plus rapidement possible, car la mer descend et bientôt la cale sera à
sec.
Très vite, le Georges Clémenceau sort du port, défiant
les vagues, ses deux moteurs tout neufs à peine suffisants pour contrer la mer
en furie. Il s’engage dans le chenal de la Grise. Soulevé par
une lame, le canot tente de prendre la vague suivante par le travers mais,
sournoise elle l’attaque à nouveau de front et il avance difficilement, aveuglé
par les embruns et la pluie mêlés. Il s’éloigne de l’abri du port, et la houle
forme des creux de plus en plus importants, rendant sa progression difficile.
Ayant dépassé l’île du Pilier, l’équipage aperçoit les feux du bateau en
détresse.
Il était un peu plus de 17 h
lorsque l’Atlante, faisant cap sur l’embouchure de la Loire , s’est détourné de sa
route. La bordée de quart, cherchant la bouée du chenal de la Loire , s’est trompée de
quelques degrés et s’est dirigée sur celle du Bavard qui signale les rochers
des Bœufs, passage redouté et dangereux. Brutalement, le navire a semblé
exploser, se disloquer. Lorsque l’étrave a rencontré l’obstacle, le bateau a
continué sa course sur son aire dans un bruit d’apocalypse puis s’est
immobilisé. Durant un court instant, Arturo a cru que tout s’arrêtait et
s’évanouissait dans le silence assourdissant du vent. Mais presque immédiatement,
les cris stridents des femmes, les appels des membres de l’équipage l’ont
ramené à la réalité. Le capitaine lançait des ordres, le bruit des machines
s’atténuait progressivement… Puis l’évidence : le bateau était échoué et
la marée descendante ne permettait pas de le dégager. Alors, Arturo a lancé la
procédure d’appel radio prévue en cas de naufrage. De l’Herbaudière, le port le
plus proche, la réponse est arrivée : un canot de sauvetage se porte à
leur secours.
L’Herbaudière, où deux jeunes
filles s’apprêtent à aller danser.
Lorsque le Georges Clémenceau arrive enfin à couple de l’Atlante, Arturo vient
de recevoir un message : un remorqueur est parti de Saint-Nazaire pour
sauver le bateau. Le capitaine demande d’embarquer seulement les deux femmes.
Elles descendent difficilement le long de l’échelle de pilote et le canot de
sauvetage repart sur une mer de plus en plus déchaînée. Une foule nombreuse
accueille les deux rescapées et les conduit au café La
Terrasse où toute la population de l’Herbaudière semble
réunie, soulagée de savoir les marins de retour. Pendant ce temps là, les
vagues s’acharnent sur la coque de l’Atlante et le drossent de plus en plus
violemment sur les rochers. La situation ne tarde pas à empirer, plusieurs
voies d’eau se déclarent. Arturo lance un nouvel SOS à Saint-Nazaire. Aussitôt
alerté, l’équipage des Herbaudrins repart affronter les rafales de vent et la
mer démontée. La première sortie avait été périlleuse ; cette fois, il
leur faut cette âme de marin chevillée au corps et au cœur, ce dévouement
hérité de tous leurs ancêtres pour, sans un mot, épuisés, trempés, retourner
dans les éléments en furie.
Une heure de navigation sera
nécessaire pour rejoindre le navire en péril. Le canot de sauvetage, minuscule
contre la paroi de la haute coque de l’Atlante, contre laquelle il est
plusieurs fois projeté, est soulevé par les vagues, manquant de chavirer à
chaque paquet de mer. La manœuvre est dangereuse et les hésitations du
cuisinier, un homme presque impotent, rendent le sauvetage de plus en plus
aléatoire. Enfin, les 21 marins sont embarqués. À 2h30, Arturo et ses
compagnons mettent le pied sur la terre ferme. Ils sont sains et saufs. Le vent
hurle de rage, la mer continue, inlassable, de grossir ses vagues furieuses. Leurs
proies leur ont échappé.
10 août 1957, à
l’Herbaudière
Le soleil, le ciel bleu, la mer
apaisée pourraient laisser croire que les angoisses de la nuit n’étaient qu’un
horrible cauchemar. Et pourtant, des voix gutturales s’échappent du café La Terrasse où l’équipage de l’Atlante
déjeune. Les marins espagnols ont passé le reste de la nuit hébergés par le
directeur de l’usine Lecointre, l’une des dernières conserveries de sardines de
la région.
Maryvonne et son amie Christine
se sont levées tard. Malgré les événements dramatiques, elles sont, comme de
nombreux autres jeunes, allées danser ; puis, elles ont rejoint un moment
les femmes réunies au café, et elles se sont associées aux prières qui
accompagnaient les hommes dans la tourmente. La fenêtre de la cuisine de la
boulangerie donne directement sur la cour de La Terrasse. Les jeunes filles se penchent, curieuses et amusées
d’entendre parler une langue qu’elles ne connaissent pas. Elles prennent pour
prétexte de secouer un chiffon et observent les étrangers, en riant sous cape. À
ce moment, Arturo se retourne et lève les yeux vers la fenêtre. Il reste figé
par l’émotion, sa vision se brouille. Il sent le sol se dérober sous ses pieds
et des milliers de bulles multicolores explosent au niveau de son plexus pour
l’envahir tout entier. Les jeunes filles continuent de glousser et s’échappent
en courant. Il faut le rude coup de coude d’un matelot pour qu’Arturo revienne
à la réalité. Pendant quelques minutes, il croira avoir rêvé la jolie brune qui
vient de disparaître dans un éclat de rire. Une sensation inconnue l’a
traversé, une certitude : il a croisé le regard de celle qu’il aimera
toute sa vie. Il se rassoit à la table avec ses compagnons, la tête lui tourne.
Maryvonne et Christine
chuchotent, allongée à plat ventre sur leur lit. Elles ont toutes les deux
remarqué le bel officier brun. Pendant deux jours, Arturo revient déjeuner au
café et il s’arrange pour choisir une table d’où il peut surveiller la fenêtre.
Les deux amies ne manquent pas de subterfuges pour avoir l’occasion de s’y
montrer. Christine s’aperçoit très vite qu’Arturo n’a d’yeux que pour son amie.
Le troisième jour, la surprise est de taille lorsque le beau marin entre à la
boulangerie et salue en… français. Il demande à Marguerite si elle l’autorise à
venir discuter avec ses filles. Séduite par la politesse et les bonnes manières
de l’Espagnol, la maman acquiesce.
Puis l’Atlante a été remorqué. Il
est maintenant échoué sur la plage de la Linière, attirant les curieux. La
majorité de l’équipage a été rapatrié. Quelques marins sont restés pour veiller
sur le bateau et, parmi eux, le radio du bord, Arturo. L’effervescence
provoquée par le naufrage est progressivement retombée dans le village de
l’Herbaudière, sauf dans l’arrière-boutique de la boulangerie où Arturo passe
chaque jour saluer Marguerite et sa fille. Christine est repartie à Paris
faisant promettre à son amie de lui écrire et de tout lui raconter. La jolie
brune, fataliste, a haussé les épaules. Elle sait que celui qui lui fait la
cour repartira bientôt. Bien sûr, en fin d’après-midi son cœur bat la chamade à
chaque fois que tinte la clochette du magasin mais elle s’interdit de
s’attacher, de croire aux compliments, aux sourires amoureux d’Arturo. Sa mère
commence à s’inquiéter de l’assiduité du soupirant de sa fille, et c’est
presque avec soulagement qu’elle accueille la nouvelle de son départ. Un
soulagement qu’elle s’applique à cacher devant le désespoir manifeste d’Arturo.
Il promet d’écrire. Maryvonne veut croire en sa sincérité mais elle est
persuadée qu’il ne tiendra pas sa promesse.
Elle ne savait pas qu’elle
faisait partie depuis toujours des rêves de ce garçon épris d’espaces. Un fil
d’Ariane compliqué les reliait, un fil que seuls la mer et le vent pouvaient
démêler en créant le point de conjonction magique : le naufrage de
l’Atlante au large de l’Herbaudière. Elle ne savait pas qu’elle partirait,
elle, la petite Herbaudrine, le retrouver en Espagne. Elle ne savait pas qu’une
famille espagnole l’adopterait avec chaleur comme leur future belle-fille. Elle
savait seulement qu’elle était amoureuse, mais ne voulait pas se bercer de
rêves qu’elle croyait impossibles.
Quatre ans plus tard
Le naufrage de l’Atlante est loin
dans les mémoires lorsque, quatre ans plus tard, les cloches de l’église de
l’Herbaudière sonnent pour célébrer le mariage de Maryvonne et Arturo. Dans
l’île, leur histoire se raconte comme un conte de fée et, comme dans les
contes, ils vécurent heureux. Mais le temps de leur bonheur était compté. À 48
ans, une crise cardiaque emporta Arturo. Il était alors à bord d’un navire
marchand, en pleine mer. Il avait quitté Maryvonne quelques jours auparavant et
elle devait le retrouver à la prochaine escale. Capitaine au long cours, il appartenait
aux grands espaces maritimes. Maryvonne pensait être la seule à régner sur son
cœur, elle avait oublié sa rivale, la mer, qui avait conduit Arturo jusqu’à
elle, et qui avait décidé d’être à ses côtés pour ses derniers instants.
Un an après que la mort ait
séparé les deux amants, le curé de l’église notifia la disparition d’une
statue, la statue de la Vierge
du Carmel. Elle avait été offerte par l’équipage de l’Atlante pour remercier les
Herbaudrins.
Chaque année, au mois d’août,
Maryvonne et Arturo venaient fleurir la statue, remerciant la Vierge d’avoir protégé
l’équipage, et présidé à leur grand amour. [1]
[1] Note de l’auteur : Cette histoire est vraie ; elle m’a été
racontée par Maryvonne et tous les Herbaudrins s’en souviennent.
[1] Note de l’auteur : Cette histoire est vraie ; elle m’a été
racontée par Maryvonne et tous les Herbaudrins s’en souviennent.
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