Bénédicte Lermon offre aux Humeurs de l'Île une nouvelle intitulée "La Cacouère"
Beaucoup de Noirmoutrins connaissent Bénédicte Lermon. Installée sur l'île de Noirmoutier depuis une vingtaine d'années, elle y exploite un marais. En parallèle, cette ancienne journaliste parisienne a, durant quelques années, repris son ancien métier en collaborant au Courrier Vendéen. Elle nous offre ici une autre facette de son talent avec une nouvelle qui fera retrouver pour certains, découvrir pour d'autres, des objets encore utilisés au milieu du XXe siècle et leurs savoureuses appellations en patois.
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Cacouère fabriquée en 1966 par Normand |
LA CACOUERE
Six
heures du matin. L'aube pointe à peine. Marie frissonne dans son
blouson fourré. Allongée à l'arrière de la voiture, elle attend
que la mer descende pour pouvoir traverser le Gois.
Au
départ de Paris, sa mère calcule toujours les horaires de marée.
Pourtant à chaque fois c'est la même routine, il faut toujours
attendre. Attendre que l'eau se retire...
L'île
de Noirmoutier se laisse désirer.
Du
haut de ses douze ans, Marie est impatiente. S'extirpant de la
vieille Aronde familiale, sous les couleurs miroitantes des premiers
rayons de soleil, elle contemple le spectacle magique de cette
chaussée de pierre qui se découvre petit à petit. D'ici vingt
minutes, la voiture roulera à travers les flots. De chaque côté du
Gois, la mer. Ce sentiment d'incarner Moïse se renouvelle à chaque
traversée.
Pour
Marie, les vacances ne commencent réellement qu'une fois ce passage
franchi. Finie la grisaille parisienne, l'école, les rues
encombrées, le bruit et la foule.
Noirmoutier
a un parfum de liberté.
Marie
est surtout très excitée de retrouver ses amis, Gilbert, Serge,
Renée, Brigitte, et en particulier son amoureux Germain. Tous sont
natifs de l'île. Le ''Cinqo'', depuis son intégration parmi eux,
voilà quatre ans, est devenu le ''Sixo''. Sa bonne humeur, son
imagination, son courage « et ses taches de rousseur »
aurait ajouté Germain, a d'emblée enthousiasmé la bande.
La
première fois qu'elle rencontre Germain, elle vient de fêter ses 8
ans. Elle se promène seule sur la plage du Bot. Elle ramasse des
coquillages et hume l'air salé avec délectation.
Tout
à coup, Marie entend comme un bruit sec et sent son mollet piqué.
Le temps de se retourner, elle aperçoit un drôle de garçon, blond,
dégingandé, tenant dans sa main un tube en bois sculpté, muni d'un
piston du même matériau.
Marie
se penche et ramasse le petit morceau d'algue qui lui a fouetté la
jambe.
« C'est
du cornard, précise Germain qui s'est approché d'elle, lancé avec
ma cacouère ». Marie le fixe intensément. Elle le trouve
très mignon. Ses yeux très bleus sont comme des petits carreaux de
piscine.
Elle
ne comprend pas ce qu'il raconte.
-
Qu'est ce que c'est que ce charabia ?
- C'est
du cornard et je l'ai envoyé avec ma cacouère, c'est notre manière
de parler. - C'est
quoi du cornard ? C'est quoi une cacouère ?
Patiemment,
la dévisageant avec un petit sourire, Germain entreprend de lui
expliquer. Il lui tend l'instrument de bois.
- Je
l'ai fabriqué moi-même dans du bois de sureau. J'ai chauffé un
tison dans le feu et je l'ai introduit dans le milieu pour enlever
la moelle. Quand au piston, je l'ai taillé dans le manche d'un
marteau, volé à mon père. Regardes, tu glisses un morceau de
cornard de chaque côté du bout de bois. C'est cette longue algue
marron, là, à tes pieds. Tu places le piston contre ton ventre et
tu pousses d'un coup sec.
Marie
s'essaye à la manipulation et réussi son premier tir en direction
d'un bois flotté.
- C'est
une arme à air comprimé, dit fièrement Germain. Dans l'île, tous
les enfants en ont. Si tu veux, je t'en ferai une. Comment tu
t'appelles ? T'as quel âge ? T'as des frères et des
sœurs ? T'habites où ? Depuis combien de temps tu viens
à Noirmoutier ? - Oh là-là, j'ai trouvé plus bavard que moi. Tu poses toujours autant de questions ?
- Quand le sujet m'intéresse, oui. Alors ?
- Je m'appelle Marie, j'ai huit ans. C'est vrai tu vas me faire un cacouère ?
- Une cacouère ! Promis. Alors, tu habites à côté de chez qui ?
- A côté de chez Simone, une maison que mes parents viennent d'acheter. C'est la première fois que je viens sur l'île. Mais sinon, j'habite au centre de Paris, dans un appartement. Je suis en 8ème. J'ai un an d'avance. J'ai un maître très sévère. Il donne des coups sur la tête avec le tampon, plein de craie. Il tire les oreilles aussi. Mais le plus souvent c'est mon voisin qui prend. Le pauvre ! Moi, je suis plutôt sage en classe, même si je prends quelques coups de tampon quand je bavarde. Il est gentil ton maître ?
- Le mien, il tire les joues . Et on reçoit aussi des coups de brosse à tableau. Mais il est génial. Il m'a appris à aimer les livres. T'aimes lire ?
- J'adore.
L'un
et l'autre se regardent. Ils savent d'ors et déjà que cette
rencontre ne sera pas la seule.
Germain
prend Marie par la main et l'emmène voir ses copains, assis près du
muret de pierre, qui borde la plage.
Au compliment, Marie rougit légèrement. C’est comme dans les contes qu'elle affectionne. Un vrai coup de foudre !
Debout
face au Gois, ce troublant et délicieux souvenir lui revient à
chaque fois.
Son
père s'impatiente « Allez Marie, montes. On peut y aller »
La
voiture s'élance sur la chaussée encore humide et salée. Le long
de la route, Marie, son père et sa mère répète en chœur leur
chanson fétiche « Oh, qu'il est beau, le chemin de
Noirmoutier»
Leur
maison du Fier les attend. Le feu crépite dans la cheminée. Simone
est venu l'allumer avant d'aller nourrir sa vache.
Le
soleil commence à réchauffer l'atmosphère. Marie délivre son vélo
du garage. Après avoir regonflé les pneus, elle saute dessus, en
criant à ses parents « J'y vais ». Ils n'ont pas besoin
de lui demander où. Ils savent qu'elle va rejoindre Germain. A
chaque vacances, c'est un vrai courant d'air. Un pied posé à
Noirmoutier, leur fille disparaît de leur champ de vision. Elle ne
rentre que dormir. Cela dure depuis quatre ans.
Marie
pédale comme une folle. Cinq minutes plus tard, essoufflée mais
radieuse, elle frappe à la porte de la vieille maison basse, habitée
par la famille de Germain.
C'est
lui qui ouvre. Comme à chacune de leurs retrouvailles, ils se fixent
un long moment. Ils sont intimidés. Germain l'entraîne à
l'intérieur. Il l'installe à la table familiale où sept personnes
sont déjà réunies : Son père, sa mère, ses deux frères et
ses trois sœurs. Devant son bol de chicorée fumante et son pain
tartiné d'une épaisse couche de beurre jaune bouton d'or, Marie
savoure cet instant.
Fille
unique à Paris, elle devient membre à part entière de cette
famille nombreuse dès qu'elle arrive sur l'île. Indépendamment de
sa passion pour Germain, cet aspect des vacances la comble. Elle
aurait adoré avoir des frères et des sœurs. Elle se rattrape avec
eux. Tous l'ont acceptés comme si elle était née là. En leur
présence, Marie se sent plus noirmoutrine que parisienne. Elle
partage leurs repas, leurs jeux, leurs jeux de mots pourris, leurs
fous-rires et même leurs corvées.
L'une
d'entre elles lui plaît particulièrement. Pendant les vacances de
la Toussaint, pour que la maison soit chauffée l'hiver, elle part
avec toute la famille, dans le bois voisin, la nuit, ramasser des
pines con couille. Pour les pommes de pins, il faut opérer à la
clarté de la lune car ce n'est pas vraiment autorisé. Que
d'émotions, de rires, d'escalades, et même de frayeurs nocturnes,
toujours apaisées par la main rassurante de Germain.
Une
autre corvée consiste à arracher les mauvaises herbes du gobet. De
sentir ses mains dans la terre du jardin enivre cette citadine.
Germain, lui, aime moins, mais il prend le temps de lui expliquer et
lui montre la marche à suivre.
Il
lui a tant appris. Comment marcher sur des bouses de vaches très
sèches et si douces sous les pieds, comment marauder les fraises
juteuses et les prunes amères dans les jardins voisins. Quelquefois,
surpris en pleine dégustation, ils se font menacer avec des manches
de pelle par les propriétaires. Ils détalent alors comme des
dératés et s'écroulent, ahanant sur le sable, tiédi par le
soleil.
Une
fois le petit déjeuner englouti, Germain et Marie rejoignent leurs
copains, tous enchantés de retrouver le maillon manquant de leur
bande.
Le
programme de la journée est déjà planifié. Ils doivent consolider
leur cabane des Eloux pour y tenir leurs réunions. Au fil des
années, le petit groupe a organisé un cassepoï où l'on raconte
des histoires, toutes sortes d'histoires.
Une
fois la cabane recouverte de branchages frais, ils s'installent en
rond à l'intérieur.
- L'hiver dernier, commence Renée, mon petit frère Gaston a été choisi pour porter la croix devant les chevaux du corbillard du père Lajoie. Il aime accompagner les morts au cimetière. Cela lui permet de ne pas aller à l'école. Ce jour-là, il gelait à pierre fendre. Ses chaussures neuves et trop serrées lui ont fait vivre un enfer. Il a maudit Grand-mère qui l'avait obligé à les mettre. Le cocher a eu pitié et l'a fait monter à côté de lui sur la banquette. Pour le réchauffer, il lui a offert des pastilles Valda. Mon petit frère gourmand en a mâché deux d'un coup. Il a pleuré à grosses larmes tout le reste du parcours tellement c'était fort. En même temps, il n'avait plus froid !
Des
rires et des commentaires fusent de tous les côtés. A son tour
Gilbert prend la parole.
- Il en est arrivée une bien bonne à mon oncle Gervais. Vous savez celui qui a souvent un coup dans le nez. Les gendarmes ont sonné chez lui un matin pour lui demander des explications à propos d'une bagarre la veille dans un bistrot du port. Mon oncle, il se souvenait de rien. « C'est pas moi » qu'il a dit aux gendarmes . Alors les gendarmes lui ont précisé qu'il avait cassé les dents de quelqu'un. Mon oncle s'est énervé et a levé les mains au ciel. Et là, incrustée sur sa main droite, il y avait...une dent.
Vas-y Serge, raconte ta dernière aventure.
- Elle m'a valu quelques coups d'écumoire, la friquette dont Maman ne se sépare jamais. J'avais décidé de perfectionner notre luge de douelles.
- Des douelles ? demande Marie.
- Ces planches de barrique, qui nous servent de luge sur les aiguilles de pins. J'ai cloué dessus mes chaussures en caoutchouc, mes méduses achetées la veille au marché. Je me suis bien amusé. Beaucoup moins en rentrant à la maison.... Ça vaut pas la fois où j'ai récupéré la bille blanche à l'intérieur d'un œil de thon. Je l'ai caché dans une huître. V'la la tête de mon père quand il a trouvé cette perle ! Cette fois-la, c'est la baguette de tamaris que j'ai senti passer. Ça fait mal.
Une
fois leurs oreilles saturées d'histoires, les amis partent dénicher
des nids. Serge fait particulièrement attention à son pantalon en
grimpant dans les pins. Il ne veut recevoir, en rentrant chez lui, ni
coups de friquette, ni coups d'ocine.
Le
but de l'opération est de trouver un oisillon, bien plumé, prêt à
s'envoler. Germain lui a montré comment apprivoiser une pie et un
faucon crécelle. Marie a réussi avec une grôle, joliment prénommée
Louise, confiée en son absence aux bons soins de son ami. Ce corbeau
la reconnaît à chacun de ses retours sur l'île et vient manger
dans sa main, comme elle le lui a appris.
Parfois,
lâchant la bande, les deux amoureux explorent des contrées plus
lointaines dans l'île. L'été, la plage des Dames en fait partie.
Après avoir regardés les touristes débarquer de Pornic, un
spectacle intéressant
et
souvent
drôle, une fois le bateau reparti, ils s'empressent d'aller plonger
du bout de l'estacade.
Quelques fois, ils emportent avec eux une chambre à air de tracteur,
pleines de rustines. Une fois gonflée, elle devient une grosse
bouée.
L'eau est un peu froide, mais ils sont bons nageurs. Leurs rires
couvrent le bruit des vagues.
Germain
lui montre aussi comment se servir d'une fronde. Ils tirent sur des
merles, des grives ou des moineaux qui sitôt tués rejoignent le
fricot familial.
Mais
la fronde sert aussi à d'autres plaisirs. C'est à qui sera le plus
fort pour exploser les tasses en verre multicolores, ornant le haut
des poteaux téléphoniques .
-
A moi la verte
- A
moi la blanche
Mais
gare au garde-champêtre !
Il
l'emmène pêcher des couteaux, tellement amusants à attraper. Il
suffit d'une pincée de sel et de bons réflexes. Marie s'en sort
plutôt bien. Les crevettes sont, elles, à dénicher sous les
algues, cachées sous les rochers. Elle aime les jeter dans son
panier en osier qui n'a qu'une petite entrée et d'où les crevettes
ne peuvent s'échapper. Elle apprécie encore plus les manger une
fois rougies par la cuisson. Sur les rochers, ils décrochent ses
drôles de chapeaux pointus. Les berniques finissent en fricot d'jambes, concocté par la maman de Germain.
Mais
c'est pendant les grandes marées que Marie préfère pêcher. Ils
partent aux premières lueurs de l'aube sur la plate d'un de ses
cousins ostréiculteurs qui les déposent sur un banc de sable au
milieu de la baie. Germain initie Marie à la pêche ''à la
menotte''. Elle glisse sa main dans le sable et les palourdes sautent
quasiment dedans. Une pêche miraculeuse.
Le
temps passé avec Germain défile à une allure express. Arrive la
fin des vacances.
Le
moment des adieux. Germain et Marie se fixent intensément. Ils
savent que les prochaines vacances ne sont pas loin. D'ici-là, ils
s'écriront. Ils continuent par voie épistolaire à se raconter des
histoires, leur histoire...
Soixante
ans plus tard, en cette année 2018, Germain et Marie sont assis dans
de confortables fauteuils devant la cheminée. Germain tient dans sa
main sa cacouère qu'il vient de retrouver en rangeant le grenier de
leur petite maison basse du Fier.
-
Tu te rends compte ma Marie, que notre destin tient à une cacouère.
Sans elle, on ne se serait jamais connus !
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