Conférences : Amis de l'Île de Noirmoutier


"Souvenirs noirmoutrins d'une culture disparue" : les textes des conférences d'Yvan Devineau et Michel Adrien 


Michel Adrien et Yvan Devineau, deux p'tits gars de l'Epine nés en 1933, ont donné une conférence lors de l'assemblée générale des Amis de l'Île de Noirmoutier : l'un s'est penché sur le long passé Epinerin de sa famille, le résultat de ses recherches de généalogiste ; l'autre sur ses souvenirs d'enfance, avant l'arrivée du tourisme de masse. Nostalgie... mais aussi analyse.
Deux textes à déguster avant de pouvoir se procurer le DVD de leurs interventions que proposera l'association Les Amis de Noirmoutier fin août.

Michel et Yvan sont allés à l'école primaire ensemble, à L'Epine, bien sûr. Tous les deux ont embarqué à la pêche avec leur père, Michel avait 14 ans, Yvan 16 ans. 
Rapidement, Michel achètera son propre bateau "Le fils de la Vierge", le premier d'une longue liste puisque, visionnaire, il aura l'idée de partir au Sénégal où il armera plusieurs bateaux, créera une usine de conditionnement. Puis, cet entrepreneur dans l'âme, déroulera le fil de son destin : usine de conditionnement de crevettes à Nantes, ferme aquacole France Turbot, nurserie de turbots, transport de turbots vivants en Asie, élevage de naissains d'huîtres. Il y aura aussi l'aventure du Pérou et tant d'autres qui pourraient faire l'objet de conférences et, pourquoi pas, d'un livre de mémoires.
Yvan attendra ses 16 ans pour partir à la pêche avec son père, en 1949. A l'époque, on pêchait la langouste au large des Sables, sur le plateau de Roche Bonne. Mais après 6 mois, son père doit se rendre à l'évidence, son fils n'est pas fait pour le travail manuel ! Yvan est donc renvoyé à l'école à Paimpol, puis passage par l'école de la Marine Marchande et direction Marseille où il obtient son diplôme de capitaine au long cours. Avec la Cie Générale Transatlantique, Yvan fréquentera tous les grands ports des Amériques, d'Afrique et d'Europe. Puis, avec les Messageries Maritimes, ce sera le tour du monde.
Les vies parallèles d'Yvan et Michel sur tous les océans, riches d'expériences, ont trouvé dans leur enfance à L'Epine le ciment nécessaire à toutes leurs aventures. A l'âge de la retraite, de retour "chez eux", ils se souviennent et se replongent avec délices dans le monde d'avant : Yvan remonte très loin dans ses racines familiales, jusqu'en 1394 , tandis que Michel se souvient de son enfance et analyse les raisons des changements et en tire tout le positif.


          

Conférence d'Yvan Devineau

Pendant une permanence au Logis du gouverneur, j'étais en grande conversation avec notre président, à propos de notre enfance heureuse à L'Epine, quand soudain, nous fûmes apostrophés. Je cite « Vous, les Epinerains, vous vivez comme les dinosaures sur la terre autrefois. Vous êtes chez vous, dans cette île, depuis les temps immémoriaux et vous voyez les autres habitants comme des voyageurs de passage. Il est vrai, que pendant des siècles, dans cette île,  vos ancêtres ont vécu. Vous nous parlez parfois de votre enfance dans votre village de L'Epine, dont toute la population était alors seulement composée par vos familles et par vos cousins à la mode de Bretagne, parlant tous votre patois, votre langue maternelle, et avant 1941, vivant comme au moyen-âge, sans électricité, sans chauffage, cuisinant au bois dans le foyer d'une cheminée, allant chercher l'eau au puits et exerçant tous les métiers à la fois, travaillant jour et nuit, pour essayer de survivre en autarcie », fin de citation.
Vous pensez bien qu'après de telles affirmations, de notre aimable interlocuteur,  le président  (Michel Adrien) et moi-même étions prêts à réagir fortement pour rétablir la vérité sur les comportements des gens de L'Epine, en général et tout le bien que nous en pensions, en particulier.
Mais la suite, car il y a une suite, nous éclaira sur les motivations de notre interlocuteur, qui poursuivit  « Vous approchez de vos quatre-vingts ans et votre mémoire est encore fidèle. Ne pensez-vous pas qu'il serait intéressant d'évoquer vos souvenirs lointains de la vie dans l'île, devant nos amis, à l'assemblée générale, pendant une demi-heure chacun ?» 
Pris au piège, nous ne pouvions qu'accepter. La grand-mère du président étant une Devineau, je vais commencer par vous parler de cette famille que je connais assez bien.
                                                    

                                                            ***
                                                      

Pierre Gaxotte, dans son « Histoire des français » nous apprend que Jules César, qui vint dans notre Bas-Poitou, en l'an 57 avant Jésus-Christ, pour combattre les Vénètes révoltés contre lui, baptisa indifféremment « Divinus » tous les druides, devins et sorciers et Dieu sait qu'ils étaient nombreux dans notre île. Ainsi l'origine du nom Devineau est acquis mais comment établir une filiation avec nos lointains ancêtres ?

A la mort d'Isabeau de Craon en 1394, nous sommes en plein dans la guerre de cent ans, Guy VI de La Trémoille, compagnon de  Jeanne d'Arc et favori du roi, Charles VII, hérite de Noirmoutier par son mariage avec Marie de Sully, fille d'Isabeau de Craon.
Les La Trémoille garderont l'île indépendante et surtout bien gérée, pendant 326 ans, jusqu'en 1720.
Les archives des La Trémoille, tenues avec soin, sont aujourd'hui conservées dans leur château familial de Thouars ainsi qu'aux Archives Nationales ou à la Bibliothèque Nationale. Notre président d'honneur, Claude Bouhier a étudié les documents qui concernent Noirmoutier dans toutes ces archives. Il a établi, entre-autres, la liste des patronymes noirmoutrins de 1394 à 1550. Cette liste a été numérisée par les archives départementales et paraîtra un jour sur le site internet de notre association.
La liste originale est conservée par les Amis au Logis du gouverneur. Chacun de vous peut la consulter. Choisissons dans cette liste quelques noms parmi les nombreux Devineau des siècles lointains. En 1395, Estienne Devineau était valet de Guillaume Durent, en 1413, Jehan Devineau, du Vieil, était marchand de sel, en 1436, André Devineau, de la Ville, était l'époux de Jeanne Boulaine, en 1444, Olivier Devineau, habite la Grand'Rue de la Ville, en 1462, Nicolas Devineau, possède une maison au Vieil et en 1539, Révérend Devineau est notaire, en Ville. Révérend est son prénom.
Cependant, il n'est évidemment pas possible de prouver que  tous ces Devineau sont nos ancêtres pour la bonne raison que les registres paroissiaux de Saint-Philbert de Noirmoutier, ne sont complets qu'à partir de 1695.
Une généalogie se compose aussi des pièces rapportées. C'est pourquoi, en étudiant les autres patronymes de mes ancêtres qui sont repérés à partir de 1394, je trouverai bien à me conforter dans l'idée que certains de mes aïeux vivaient dans cette île depuis le quatorzième siècle, les Rivalin, Sorin, Martin, Pineau, Baranger, Friou, Fouasson, Gautier, Garnier, ou depuis  le quinzième les Guillet, Monnier, Véré, Burgaudeau, Guérin ; ou depuis le seizième, les Vincendeau, Vénereau, Palvadeau, Billet, Boutet, Fradet.
Notre interlocuteur avait donc raison, aussi loin que l'on puisse remonter dans les archives de l'île, nous trouvons des noms portés par nos aïeux, mais faute de documents officiels, nous ne pouvons prouver, pour le moment, que nos familles remontent à l'époque des dinosaures

En 1695, Pierre Devineau paye deux sous d'impôts pour la « Générale Taille » Les noirmoutrins avaient été exemptés de toutes les impositions royales à condition de se défendre seuls contre les ennemis du royaume et de protéger leur île contre la mer. Cependant chaque année, depuis le haut moyen-âge, les habitants de l'île levaient sur eux-mêmes, un impôt de 450 livres pour leur seigneur. Cette somme est restée inchangée dans la suite des siècles jusqu'à la Révolution. 

Le 21 octobre 1710, se déroule à Saint-Philbert de Noirmoutier, le mariage de Philbert Devineau avec Catherine Billard, l'acte précise que les parents du marié Nicolas Devineau et Jeanne Véré, étaient alors décédés. Nicolas et Jeanne, nés en 1650, et leur fils Philbert, le marié, né en 1685, sont assurément nos ancêtres directs.
Philbert Devineau époux de Catherine Billard, aura trois garçons, d'abord Philbert né en 1711, notre ancêtre, qui épousera Marie Garnier, le 9 janvier 1731 et s'établira à la Bosse de L'Epine, puis Jacques né en 1713, garde des étiers, qui épousera Marie Vincendeau, enfin Basile né en 1720 qui se mariera avec Renée Renou.

Philbert Devineau et son épouse Marie Garnier construiront leur demeure dans une vaste appartenance située dans les dunes de la Bosse de Bressuire, acensée au seigneur pour un chapon par an, les trois-quarts de cette propriété se sont jusqu'à aujourd'hui, transmis par héritage à leurs descendants. J'en fais heureusement partie. De leur mariage naîtront sept enfants, deux filles et cinq garçons.

Les trois enfants de Philbert et de Catherine Billard s'établiront à L'Epine, ils sont à l'origine de tous les Devineau habitant l'île sous le Directoire. En effet, le recensement général de l'île effectué en 1798, montre que vingt Devineau sont restés dans le quartier de la Bosse de Bressuire, sept ont choisi le quartier de L'Epine. On compte un Devineau à la Guérinière et trois Devineau résidant en Ville, mais ils sont tous originaires de la Bosse de Bressuire. Il y a bien un autre Devineau résidant à Barbâtre, mais c'est un douanier qui vient du continent.

Les archives déposées au Logis sont une incroyable source de renseignements pour les familles anciennement originaires de l'île, en particulier pendant la période révolutionnaire.

Revenons à l'un des fils de Philbert et Catherine Billard, Jacques qui était le garde des étiers, à cette époque capitale quand tous les marais salants de l'île se sont mis à la mode de Guérande, et que les aires saunantes d'autrefois se sont transformées en oeillets, ce qui a entraîné un regain de richesses pour les propriétaires de marais et la reconstruction de la Grand'Rue de la Ville de l'île et marquisat de Noirmoutier. Jacques décédera en 1768, sa charge sera transmise à son neveu Denis Louis Devineau, notre ancêtre direct, puisqu'il était l'arrière grand-père de la grand-mère Antonie Devineau, de notre président et le grand-père de mon arrière grand-père Jean-Denis Devineau. Nous verrons plus tard que ce Denis Louis va cumuler les charges, il sera garde des étiers, garde- côte de l'Herbaudière jusqu'aux Eloux, adjoint de l'ingénieur Plantier pour la reconstruction de la digue de Devin et pendant la Révolution il sera de plus commissaire pour la réquisition des blés, pour nourrir les troupes d'occupation, et même, un moment l'unique garde-champêtre du canton. C'est dire qu'il ne fallait pas lui en conter sur les habitudes dans l'île.

Vous-êtes vous demandé un jour, quels ingénieurs hydrauliciens avaient construit nos remarquables marais salants?  Un bail du 30 août 1779, va nous renseigner, car il a été rédigé par deux gros propriétaires Jacques Guyard, curé de Saint-Philbert de Noirmoutier et sous-prieur du-dit lieu, conjointement à Pierre Duchemin, juge royal puis juge de paix, et Chirurgien, d'une part, et d'autre part, il a été signé par les trois frères Devineau Basile, Jean et Denis, notre ancêtre, le garde des étiers et garde-côte. Tous les protagonistes étaient évidemment parfaitement au courant des usages et coutumes de l'île concernant les baux agricoles.
Je vais résumer le texte car il est long. Guyard et Duchemin ont baillé pour neuf années consécutives et accomplies et promis de faire jouir et garantir aux dits Basile, Jean et Denis, quatre oeillets de marais salants, en une pièce appelée l'Arceau, avec un quart de terre formant le bossis du-dit marais et plus deux boissellées de terre en pré, tenant au quart de terre du bossis.
Les frères Devineau devront sauner les quatre oeillets du marais selon l'usage du pays, c'est à dire qu'ils auront le tiers du sel produit pour leur droit de saunage et que les deux autres tiers appartiendront aux dits Guyard et Duchemin qui pourront disposer de la totalité du sel et le vendre quand bon leur semblera en la manière accoutumée. A la charge en outre pour les frères Devineau de payer solidairement chaque année la quantité d'un boisseau et demi de froment, mesure rase du dit Noirmoutier, à savoir trois quartauds à Guyard et trois quartauds à Duchemin.
Il est convenu qu'au cas où le terrain des dites deux boissellées de pré se trouvât propre à faire un marais salant, il sera permis aux dits Jean, Basile et Denis Devineau de construire le nombre d'oeillets qui bon leur semblera le tout à leurs frais et dépens et pareillement sans aucune diminution du loyer déjà fixé ci-dessus. Il est seulement accordé qu'en ce dernier cas les dits Basile, Jean et Denis Devineau auront pour dédommagement de leurs frais peines et soins la jouissance en entier du sel que pourra produire le nouveau marais à construire pendant la durée du présent bail et qu'après le présent bail fini la jouissance du nouveau marais à construire sera réunie à la propriété  et appartiendra à Guyard et Duchemin qui pourront  en disposer comme bon leur semblera.
Ainsi la cause est entendue, avant la Révolution, les sauniers, en particulier ceux de L'Epine, ont construit eux-mêmes les marais salants à leurs frais et dépens et pour le plus grand profit et l'enrichissement des propriétaires.

Au début de la Révolution, en 1791, l'annonce de la mise en vente parmi les biens nationaux, des immenses propriétés en terres et en marais salants, de l'abbaye Blanche, du Seigneur, du prieuré de Saint Philbert, et des émigrés, a dû soulever de grands espoirs chez les sauniers.
Ils furent vite déçus car les ventes se firent à Challans et par grandes loties, donc hors de portée des moyens d'un saunier qui ne pouvait disposer des 30.000 livres, nécessaires pour acquérir un seul lot.
Pourtant Jean Devineau , l'un des trois frères dont nous venons de parler, va tenter sa chance et le 11 mars 1791 il va créer une société d'achats de biens nationaux, avec André Rochois, son cousin de L'Epine, et trois notables de la Ville, Pierre Pineau, François Gautier, et Charles Jolly. Les deux de L'Epine mettront 2000 livres chacun et les trois autres 8000 livres chacun. Soit un total de 28000 livres. Ils devront de plus, ajouter 5000 livres pour avoir leur lot..                                                                                                                                                                                                                                           
Dans ces conditions très peu de sauniers purent acquérir des terres ou  des  marais salants qui devinrent la propriété des riches notables ou négociants noirmoutrins ou  Nantais.

Notre Jean Devineau, qui après avoir acheté des biens nationaux était sûrement devenu bon républicain, mais il n'a pas pu  profiter longtemps de ses biens car alors qu'il travaillait dans son marais de Cholleau, à L'Epine, il fut massacré le 3 janvier 1794, par les troupes républicaines, lors de la reprise de l'île, et enterré dans la vase de son marais.
Après la Terreur, lors de recherches trop tardives, le corps ne fut pas retrouvé.
Ce n'est qu'en 1803, lorsque sa veuve voulut donner ses biens à sa nièce, que le notaire demanda le certificat de décès. Nous lisons dans un extrait des minutes du greffe de la justice de paix du canton de l'île de Noirmoutier « Aujourd'hui, onze nivôse de l'an onze de la République française, une et indivisible, sur les onze heures du matin, par devant nous, Jean Aimé Viaud, ...ont comparu volontairement les citoyens André Daniel, Étienne Garnier, Philbert Billet, et Jean Baptiste Garnier, tous majeurs de la commune de Noirmoutier, lesquels nous ont déclaré qu'il est à leur connaissance que feu Jean Devineau, fut tué dans les premiers marais de Cholleaux, lieu où il fut enterré et ce par les troupes républicaines qui étaient entrées dans l'île ce jour-là, pour la reprendre sur les insurgés. De tout, nous avons donné acte de leurs dires  et affirmations, pour valoir et servir à Thérèse Palvadeau, sa veuve»

André, un autre frère de Basile, Jean, et Denis, a eu bien des problèmes lui aussi à la suite de ce qu'il croyait être une plaisanterie à la mode des conteurs de Gabion.
A l'époque pour aller de L'Epine en Ville on devait passer par le pont de la Corbe ou par celui de l'Arceau, en Champoiroux. Ce qui permettait aux bateaux de remonter l'étier de l'Arceau  jusqu'en Champoiroux pour charger le sel au plus près des marais salants.
Un raccourci existait pour les piétons, c'était la planche à Burgaud située à l'emplacement actuel du restaurant « L'Etier »;  Les commérages allaient bon train près de cette planche.
Une longue délibération de la municipalité de Noirmoutier, en date du 4 juillet 1795, rédigée en forme d'interrogatoire de tous les dénonciateurs d'André qui en passant la planche à Burgaud avait raconté son histoire aux nombreuses femmes présentes à cet endroit.
En voici un extrait : Dénonciation d'André Devineau, par le citoyen Burgaud : A comparu le citoyen Urbain Burgaud de cette commune, qui a déclaré qu'étant à la Basse Rue de cette Ville il a entendu dire à la Dupas, dite la Mérite, sa mère étant présente, ainsi que le citoyen Louis Charrier, marchand, François Gautier, de la Salle, François Vivier, fils, Joseph Baraud, meunier, et beaucoup d'autres qu' André Devineau, tisserand à L'Epine, avait dit devant elle et plusieurs autres, que l'île devait être prise en 17 jours par les royalistes et que la liste de ceux qui devait être tués était déjà faite.
Après le long interrogatoire de l'intéressé et des nombreux témoins il fut décidé de mettre André en prison, au prétexte que ses propos tendraient à troubler l'ordre public avant de confier son dossier au Juge de paix,
Pour sa défense André a dit qu'il avait répété ce qui se disait au casse poï de son village mais qu'il regrettait de l'avoir dit devant des femmes.
André est décédé 11 mois après, le 7 juin 1796, à L'Epine, à l'âge de 55 ans. A cette époque la plaisanterie à la mode de L'Epine n'était pas comprise par tout le monde.
          
Revenons à notre ancêtre Denis, qui d'après ses nombreux passeports nécessaires alors pour sortir de l'île, mesure 1 m 68, a les yeux bleus, le nez aquilin , le visage long et à 44 ans la barbe, ,les cheveux et les sourcils, gris.
Par délibération du 16 messidor de l'an XII, le conseil décide de conserver seulement comme garde de la Pointe de Devin le citoyen Denis Devineau, de plus considérant encore que sur l'expérience du passé, les gardes champêtres ont toujours été inutiles à Noirmoutier, il décide de supprimer les autres gardes car il en faudrait autant que de villages et que d'ailleurs tout citoyen trouvant sur son domaine des malfaiteurs peut prendre des témoins et porter plainte devant la police.
Denis, dans cette fonction de garde-côte recrutait les hommes pour effectuer les réparations à la digue de Devin et périodiquement allait à la municipalité chercher les sommes nécessaires  pour la paye des ouvriers. Voici un détail des dépenses, l4 nivôse de l'an XII, 31 f 59, le 22 nivôse 309 f 38, le 10 pluviôse, 88 f 87, et le 1 er germinal 31 f 50.
Dans sa séance du tridi de la deuxième décade de frimaire de l'an VII. (5/12/1798), le conseil vu la lettre de l'ingénieur qui annonce sur le rapport du citoyen Denis Devineau, garde-côte de L'Herbaudière, que des débris de la chaussée de la Pointe de Devin risquent d'être emportés par la mer; Pour empêcher que la République ne les perde, autorise le dit Devineau à prendre les hommes et les voitures nécessaires pour les mettre en sûreté, promettant de les salarier de suite.

Naturellement Louis Denis Devineau, né en 1797, prit la suite de son père Denis Louis, décédé en 1831, comme garde de la côte, de L'Herbaudière aux Eloux. Par chance son registre des rapports quotidiens de la surveillance de la côte à partir de 1841, nous est parvenu intact, il est même complété en fin de registre par de nombreux détails sur la vie et le travail quotidien des membres de sa famille et des Epinerains à cette époque qui ressemblait étrangement à celle de leurs descendants, jusqu'en 1950 et que ceux de mon âge ont connu.
La première page précise :  "Ce livre appartient à moi, Louis Denis Devineau, garde-côte, demeurant à la Bosse, Aujourd'hui 11 août 1841" ce livre sera clos le 17 mars 1867. Louis-Denis avait 70 ans. La retraite à 60 ans n'était pas encore inventée.
Jours après jours seront notées toutes les épaves trouvées en mer ou échouées à la côte, avec les noms des découvreurs et des transporteurs qui seront tous indemnisés selon les tarifs officiels. Ces débris déposés sur les plages ou trouvés au large consistaient généralement en madriers de sapin, en débris de voiles, de mâts, de vergues, en barriques de vinaigre, de coaltar, de sardines ou de vin plus ou moins vides.  
Toutes ces épaves étaient mises à l'abri dans les magasins de la Ville de Noirmoutier, ou dans ceux du garde-côte, à la Pointe de Devin, à la Bosse, ou même chez lui, comme l'autorisait une délibération du conseil municipal. En mer le transport s'effectuait par l'une des nombreuses yoles du mouillage de Morin : la yole à Métier qui a sauvé une barrique de vin rouge, la yole  à André Rochois, montée par quatre hommes qui a sauvé une barrique d'huile un mât et sa vergue. Les yoles les plus utilisées appartenaient à Alexandre Devineau, à Jean Devineau; à Patrice Devineau, à Basile Bodin, à Philbert Douillard, à Jean Monnier,  ... Les transports à terre utilisaient les charrettes à boeufs comme celle de Sébastien Palvadeau. L'intérêt principal de ce livre est qu'il nous détaille la vie quotidienne d'une famille à L'Epine, il y a 170 ans.
Vous pensez sans doute, comme cela se passerait à notre époque, que notre zélé garde-côte, sa journée de surveillance du rivage terminée, allait mettre ses pantoufles et s'asseoir dans un fauteuil pour lire son journal ? Il n'en est rien.
Notre Denis Louis était aussi saunier, il saunait Marais Gaillard de 22 oeillet, il saunait son marais de Cholleaux, de 14 oeillets, et aussi le marais de trente Fouquet.
Notre courageux ancêtre? comme tous les sauniers de son temps, cultivait la terre de ses prés et bossis, à la pelle, plus exactement à la freue, cette pelle longue et très étroite, seule capable de pénétrer dans la dure terre des marais. Il labourait des hectares de terre à la main avec sa freue, il semait à la main, il coupait avec sa faux ou sa faucille, mettait en gerbe et battait ces gerbes avec un fléau pour en sortir les grains.
Pour 1841, voici le détail de sa récolte : 9 gerbes de seigle, 133 gerbes d'orge et 486 gerbes de froment. Ce qui fait en grains après battage 3 quartauds de seigle, 13 boisseaux d'orge, 45 boisseaux de froment. Comme si ça ne suffisait pas à l'occuper, toujours en 1841, il a récolté: 2  quartauds ½ de lentilles, 1 quartaud ½  de poids blancs, 2 quartauds ½  de jarosse, et huit boisseaux de fèves.
Il collectait aussi les graines de la moutarde qui pousse dans les marais. Cette graine se vendait 20 francs le boisseau, en 1846, il avait collecté 98 litres de graines
Il ajoute, commencé à couper le froment, le 20 juillet, achevé le premier août et achevé de battre les bleds, le 5 août. Il n'avait pas chômé.
N'oublions pas ses vignes qui produisent annuellement trois barriques ½ de vin.
Comme tous les sauniers, Louis Denis avait aussi sa petite ferme dont il fallait parfois renouveler le cheptel : le 3 octobre 1841, il écrit : J'ai acheté une vache de 2 ans   1/2, pour 74 francs et le 15 mai 1842, il ajoute, j'ai acheté à Sébastien Adrien, une ânesse et le 25 du même mois elle m'a fait un ânon. Une charrette traînée par un âne c'était l'indispensable moyen de transport, pour les cultivateurs de L'Epine, à cette époque. Chaque année Louis Denis achetait au moins deux cochons qui avec les volailles les lapins et les gibiers constituait l'apport en viande pour sa famille. Le 7 octobre 1841 acheté un cochon pour 52 francs, le 2 décembre tué ce cochon qui a pesé 163 livres de viande et 14 livres de graisse. Le 3 octobre 1844, acheté un cochon 65 francs à la foire de la Saint-Michel de Beauvoir et le 17 octobre tué le cochon qui pesait 196 livres de viande et 22 livres de graisse. Il achetait ses cochons aux foires de Saint-Gervais, de Bouin, ou de Beauvoir.
En 1841, il écrit : "J'ai eu pour mes cendres 322 fagots de bois" Et, en 1842 "J'ai eu de mes cendres 313 fagots de bois et j'en ai acheté 150 de plus au prix de 8 francs le cent"

Il n'y avait pas de bois à L'Epine, les dunes domaniales ne seront plantées en pins maritimes qu'en 1879, il n'y avait pas d'arbres dans les marais salants. Le seul bois disponible était le bois des épaves, les sarments des vignes et quelques branches des têtards des ormeaux poussant sur les terriers des clôtures. Les sarments, le goémon séché, les bousas et les fagots venus du continent étaient les seuls combustibles pour cuisiner et chauffer les fours. Il n'était évidemment pas question de chauffer les maisons l'hiver. Les cendres des sarments, des bousas et du goémon formaient un très bon engrais qui servait à faire le troc avec les fagots des maraîchers du continent.
Pendant la Révolution ce transport de fagots fut interdit, en conséquence les épinerains pour faire du feu arrachèrent les plantes poussant sur les dunes et les firent sécher pour servir de combustibles. Inutile de préciser qu'à partir de 1808, les dunes débarrassées de toute végétation, se mirent en mouvement et ont recouvert les villages de Bressuire et les 40 maisons des Eloux.
Qu'elle ne fut pas la fierté de notre garde-côte d'écrire le dimanche 28 août 1842 : "mon fils à moi est né à 7 heures du soir, il a été baptisé Louis Denis, comme moi" Ce fils travaillera avec son père, pendant sa jeunesse, à la ferme ou au transport des épaves. Il sera élu conseiller municipal de Noirmoutier c'était l'arrière-grand-père de notre président.
En 1846, notre Louis Denis, le garde-côte,  rénove sa maison du 4, impasse de la Butte, change toutes les charpentes et les toitures et construit son grenier. Il précise évidemment le détail de toutes ses dépenses.
Après une vie laborieuse et bien remplie, Louis Denis, qui nous a confié de si précieux renseignements sur son époque, quittera ce monde le 8 novembre 1877, à 80 ans. Ce sera le dernier des Devineau garde-côte. 
A noter que son  petit fils Louis Denis Devineau, sera le dernier garde-forestier de l'île résidant à la maison forestière du  Bois de la Chaise, au milieu du XX ème siècle.
                    
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Après moi, Michel Adrien, notre président, mon vieux conscrit, que l'on ne présente plus à Noirmoutier, vous parlera de L'Epine de notre enfance, qui avait à peine changé de mode de vie depuis le moyen âge et qui me laisse de si doux souvenirs, car tout me semblait  authentique et naturel. 
Qu'il était bon et parfumé, le pain, cuit dans le four chauffé au feu de bois et fait avec de la farine de vrai blé, d'une espèce panifiable, dont les champs étaient  tapissés de bleuets et de coquelicots, et heureusement exempts de  pesticides et d'herbicides. Je me remémore le rite du pain grillé du petit déjeuner avec une grande tartine coupée dans un pain de deux livres, piquée par un couteau pour qu'elle soit bien droite dans le foyer devant les braises d''un feu d'aiguilles de pin. Cette tartine de pain grillé, recouverte de vrai beurre salé, fait avec un vrai lait, était un délice que personne ne peut plus retrouver avec nos laits et notre beurre; pasteurisés, allégés et, à la limite sans matière grasse. Qu'elles étaient bonnes les anguilles, les sardines, les poissons ou le jambon grillés sur les braises d'un feu de sarments de vignes. Ce jambon qui pendait dans la cheminée était un véritable régal car le cochon élevé dans les règles de l'art par ma grand mère, n'était nourri que de bonnes choses, pour lui, Toute la viande de ce cochon était délicieuse, rien à voir avec ce qu'on nous propose aujourd'hui dans les meilleurs commerces.
Nos petits-enfants ne connaîtront pas le vrai goût de la nourriture. Ils feront comme mon chat, au début pas de problème il mangeait de tout, maintenant au-dessus de nos restes de poissons et de viandes il approche ses moustaches et fait la moue, puis se dirige vers son écuelle de croquettes ; il ne mange plus que des croquettes  
Bien  sûr les maisons n'étaient pas chauffées l'hiver mais nous restions bien vêtus à l'intérieur et nous n'avions pas froid. Je me souviens avec nostalgie du plaisir que j'éprouvais en me couchant sur mon épais matelas de plumes dans lequel je faisais mon lit douillet, l'hiver, quand après avoir glissé sur les draps froids, mes pieds touchaient enfin la brique chaude, déposée auparavant au fond du lit, c'était le summum du confort, le lit qui comptait deux ou trois  couvertures de laine et un gros couvre-pieds, le tout surmonté par un volumineux édredon de plumes, se  chauffait rapidement.
Le silence régnait dans le village, je ne me souviens pas avoir entendu le bruit émis par les trois voitures existantes alors à L'Epine, par contre j'éprouvais beaucoup de plaisir à circuler en charrette, ce qui permettait de parler à tous les piétons, que mon grand père saluait d'un "bonjour le cousin » et dont ma mère complétait la généalogie en précisant "mais oui c'est l'arrière-petit-fils du demi-frère à mon grand-père, tu sais bien" Parfois il suffisait de préciser qu'une de ses lointaines ancêtres était une Devineau pour qu'il fasse partie de  la famille.
          
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Conférence de Michel Adrien

Préambule 

Mon vieux camarade Yvan vient de vous décrire avec son talent d'historien, la vie de nos ancêtres communs, dans notre petit village de l'Epine, en remontant sur plusieurs générations et en s'appuyant sur des documents familiaux inédits.
Il termine son propos en décrivant ses sensations et sa perception du monde tel que nous l'avons connu pendant notre enfance . 

Il me revient d'évoquer, à partir ce cette époque les principaux aspects de notre culture noirmoutrine, telle qu'elle nous est parvenue d'un lointain passé avant d'être balayée par la modernité, au cours de la seconde moitié du vingtième siècle .

Mais d'abord, qu'entendons nous par le mot "culture" qui peut avoir tant de définitions
Pour ma part je m'en tiens à la définition principale de l'encyclopédie Larousse :
"Ensemble des phénomènes matériels et idéologiques qui caractérisent un groupe ethnique" 

Souvenirs...

Avec Yvan, nous sommes parmi les derniers survivants des indigènes, des autochtones de cette île. Le patois poitevin-saintongeais est notre langue native .
Ce patois parlé entre la Loire et la Garonne est bien une langue, d'origine latine, au même titre que la langue d'Oc, par exemple .
Au cours de notre enfance , nous avons bien connu cette culture encore pratiquement intacte, maintenant disparue .
C'est en ayant conscience de cela que nous nous devions de témoigner, avant de disparaître à notre tour.

Nous sommes nés tous les deux à l'Epine en 1933, à quelques jours et à quelques kilomètres d'intervalles.
Notre enfance a donc baigné dans cette culture insulaire ancestrale telle qu'Yvan vient de vous la décrire et qui nous parvenait pratiquement intacte, n'ayant pas encore été confrontée aux chocs culturels et sociaux qui l'attendaient.
Je vous invite à vous plonger quelques instants dans ce passé  proche pour Yvan et pour moi, mais paraissant sûrement très lointain pour les jeunes aujourd'hui.

Cela a-t- il vraiment existé ? Sommes nous restés sur la même planète ?
Les choses ont tellement changées dans la durée d'une seule vie !

Avant la guerre 

1933,  Adolphe Hitler prend le pouvoir en Allemagne. Le Front Populaire, en France trois ans plus tard.
A l'Epine, ces événements semblent bien peu nous concerner. 
A l'écart du monde nous vivions en quasi autarcie, nous ne consommions que les légumes et les fruits de notre production, chaque ménage avait ses poules et le cochon était élevé souvent en commun par deux ou trois familles.
Nous n'avions ni boucherie, ni charcuterie, ni marchand de légumes dans notre village.
Mais quelles fêtes que ces jours ou l'on tuait le cochon ! Quel bonheur ! Qu'il étaient bons ces boudins, ces grâtons ! Le jambon ainsi que le lard devrait "durer" tout l'hiver.
Et ces premières patates nouvelles, quel bonheur !
Ces évènements, tous simples étaient l'occasion de nous inviter les uns les autres et de vivre des moments de convivialités inoubliables pour moi. Quand on a peu de choses, un rien vous rend heureux. Il faut préciser que la vie était rude alors pour nos parents. C'est sans doute pour cela, que bien d'autres occasions étaient des prétextes pour vivre de tels moments de convivialités dans la gaîté
Cela était, me semble-t-il, un antidote nécessaire aux conditions semi-moyenâgeuses de notre vie d'alors.
Prenons par exemple, les mariages : cela durait trois ou quatre jours avec un nombre important de convives, souvent une bonne centaine. Le cortège, mariés en tête, parcourait les rues du village en chantant des "chansons à répounère" très entraînantes et reprises en choeur par tous. Pendant le repas, interminable, chacun y allait de son histoire, de sa chanson ou de son monologue.
Certains, parmi les plus jeunes qui savaient lire, possédaient un cahier de chansons, mais l'essentiel des prestations relevait de la tradition orale avec beaucoup de chants de marins.
Mais, en fin de journées beaucoup d'hommes se trouvaient  ivres.

La vie était rythmée par les saisons qui déterminaient les époques de départ pour la pêche ou pour le marais salant ect... Mais au dessus de tout, c'était la religion avec son calendrier liturgique qui régentait toute notre vie. Presque tout le monde assistait chaque dimanche à la messe, et c'était l'occasion de se retrouver, de se communiquer les nouvelles. Tout le monde avait à coeur d'être bien habillés, nous disions "endimanchés".                                                                          Le dimanche était aussi un jour faste pour le bistrot près de l'église. L'après midi, les femmes et les enfants assistaient aux vêpres.

Plusieurs fois dans l'année nous partions en procession en chantant des cantiques ou en récitant des litanies à la gloire des saints qui devaient "intercéder " pour nous. Ces litanies qui n'en finissaient pas.... (santa ...ora pro nobis santa ..etc..)                                                                              Tous les 5 ou 6 ans environ il y avait une mission qui durait une semaine avec des missionnaires, prêcheurs itinérants, qui nous apportaient la parole de l'évangile.
Tous les soirs, l'église était remplie de ces gens frustres et incultes qui disaient aimer entendre "le monde fin" (les gens instruits ) parler. Le curé était très respecté et jouissait de toute l'autorité que sa fonction de représentant de l'église lui conférait.
Et que dire du jour de la confirmation où l'évêque de Luçon venait en personne confirmer les enfants.
Notre éducation religieuse était omniprésente et il ne fallait pas commettre de péchés. Par exemple : avant la communion solennelle, nous avions une "retraite"qui durait 3 jours. C'était proche du lavage de cerveau, on nous inculquait les valeurs, les principes et les règles de la religion qu'il fallait respecter sous peine de châtiment.
La Bonne Mère, religieuse impressionnante par son physique et son autorité, nous décrivait ce que serait l'enfer, punition suprême qui serait infligée sans passage au purgatoire en cas de décès en état de péché mortel. Et cela pour l'éternité. Suivait une évocation terrifiante de l'éternité !! Nous prenions la résolution (impossible à tenir) de ne plus commettre de péché.
Malheur à la pauvre fille qui, s'étant laissée séduire, se trouvait enceinte avant le mariage.
Chaque soir à la tombée de la nuit, les jeunes venaient sous sa fenêtre "corner", armés de cornes à brume ou autre lambies. Le garçon, lui, n'était pas inquiété, mais il avait plutôt intérêt à marier la fille qui, malheureusement,  n'aurait pas le droit de porter la robe blanche de mariée dont elle avait sans doute tant rêvée étant petite ...

Précarité

A cette époque nous étions tous scolarisés. L'instituteur était aussi, en tant que détenteur du savoir, très influent et unanimement considéré. Il nous interdisait de parler patois, même pendant la récréation, mais cela nous était impossible car c'est notre langue native. Il nous interdisait aussi de venir pieds nus. Alors, nous arrivions devant la porte de l'école les sabots à la main pour les enfiler en entrant. Depuis Pâques jusqu'à fin octobre nous étions tous pieds nus et pourtant je ne me souviens pas avoir eu froid aux pieds .

Nous vivions dans des conditions de grande précarité, aujourd'hui on dirait sous le seuil de pauvreté, mais c'était ainsi, c'était la norme et c'est sans doute pour cela, pour y échapper par moment, que nous avions un tel goût pour les fêtes .
La fête du village de l'Epine, la Saint Jean, attirait toute la jeunesse de l'île, c'était une ambiance festive qu'on ne trouve plus. Il est vrai que nous n'avions ni cinéma ni télévision .

Nous n'avions bien sûr, ni eau courante, ni cabinet de toilette. Les WC, très rudimentaires, se trouvaient à l'extérieur. La douche, le bain étaient inconnus, le shampoing était tout bonnement une friction au savon se Marseille .
Pour nous chauffer nous utilisions des "bousas", sorte de galettes de bouse de vache séchée. Nous n'avions pas ou peu de bois. Le bousa avait un pouvoir calorifique surprenant, il se consumait très lentement, dégageant une chaleur suffisante pour la cuisson des aliments. Et moi, je trouvais que cela sentait bon ...
La nuit tombée s'il n'y avait pas de lune, l'obscurité était totale car il n'y avait ni éclairage urbain, ni enseignes lumineuses, ni aucune luminosité venant des habitations qui s'éclairaient à la chandelle de résine ou à la lampe à pétrole. Aucun bruit de voiture ou de vélomoteur ni d'avion, on entendait seulement le bruit du vent ou de la mer .
A L'Epine, nous étions presque tous marins, surtout pêcheurs, mais quelques uns choisissaient le commerce ou la "Royale" (marine nationale). Il existait cependant quelques exploitations agricole qui saunaient les marais et cultivaient les bossis pour produire du blé, des fèves, des pommes de terre etc.., nous les appelions les "maraichins"
Ainsi les générations se succédaient sans changement notable. 
La seule, mais énorme différence entre notre générations et les précédentes, est que nous étions tous "SCOLARISES ". Merci Monsieur Jules Ferry

Conditions sociales

Il est évident que nous étions tout en bas de l'échelle sociale, mais nous trouvions notre condition tout à fait normale.
Les bourgeois, les notables (les familles Garet, Ducongé, Lassourd  etc...) étaient domiciliés surtout aux Eloux, nous les respections car ils étaient cultivés, raffinés et leur comportement, leur aisance matérielle, leurs tenues vestimentaires étaient autant de marqueurs d'une très grande différence de classe avec nous.
De leur coté, ils se comportaient avec nous de façon à ne jamais nous humilier. Ils étaient totalement étrangers à notre culture, à notre façon de vivre, à notre langue (le patois). Ils se situaient en dehors de notre communauté villageoise. Nous n'étions pas du même monde,  c'est tout. Mais nous vivions en parfaite harmonie.

Le Bois de la Chaise

Pour nous, le Bois de la Chaise, c'était plus loin, géographiquement, mais surtout socialement.
Le plus beau coin de l'île (mis à part l'Epine, bien évidemment) avec ses somptueuses et mystérieuses villas abritant une population privilégiée que nous considérions comme une aristocratie "des gens du monde" cultivés et aisés.
Nous n'avions pas ou peu de relations avec les "gens du Bois de la Chaise " pour lesquels nous avions plutôt de l'admiration. Il me semble que nous ressentions une certaine fierté d'avoir dans notre île des gens de cette qualité (célèbrités , artistes etc...)
Et malgré les évolutions sociologiques très fortes  qui sont intervenues, notamment depuis la dernière guerre, le Bois de la Chaise est toujours le "Bois de la Chaise " avec son aura qui reste intacte.

Le choc touristique

L'Epine, notre cher petit village, à l'instar des autres villages de l'île, a perdu son âme et j'en éprouve de la nostalgie.
Le mode de vie que nous avons connu dans notre petite enfance peut être qualifié de quasi moyenâgeux, il n'évoluait que très très lentement.
Les conditions matérielles étaient précaires. Les récits des anciens, le soir, à la veillée, évoquaient des anecdotes du passé qui auraient pu se dérouler dans le même contexte social et économique que celui que nous connaissions alors, ce qui prouve le peu d'évolution culturelle et sociale depuis des générations.
Avec Yvan, il n'est pas exagéré de dire que nous avons " entrevu le moyen-âge " Nous vivions en quasi autarcie, repliés sur nous même, à tel point que l'on notait des différences notables dans certains termes du patois entre les villages. Par exemple, à la Guérinière on roulait les R et pas ailleurs.
On se mariait surtout entre gens du village etc..
Il n'était pas rare de rencontrer quelqu'un qui n'avait jamais franchi le Gois, jamais quitté l'île.
Les coutumes, les rites religieux  qui ponctuaient notre vie, comme les saisons, semblaient immuables.
Enfants, nous pouvions courir à travers les dunes sans entraves, sans barrières, sans clôtures, la plage était pour nous seuls. Nous étions "CHEZ NOUS", comme l'étaient avant nous nos parents et nos grands parents.
Seule, la colonie de Blois apportait un peu d'animation pendant les vacances d'été.

Nous n'étions absolument pas préparés à subir le choc qui nous attendait .

Le choc : l'intrusion touristique et balnéaire et les grandes découvertes

Pendant la guerre, l'électricité arrive dans l'île. Comme partout en France, ce fut une révolution technologique aux conséquences incalculables. D'abord la lumière, puis tout le reste dont on ne perçoit la réalité de nos jours que lors d'une coupure de courant.
Puis les inventions majeures se succèdent : le transistor, les antibiotiques, les microprocesseurs, la télévision et bien d'autres révolutionnent et améliorent notre qualité de vie.
Mais toutes ces innovations nous ont aussi apporté des flots d'informations, nous ont ouvert brutalement les yeux sur le monde, changeant notre perception des choses, rendant nos traditions et nos habitudes ancestrales obsolètes.

Enfin, la démocratisation de la voiture, plus les congés payés sont les principaux facteurs qui sont à l'origine du déferlement estival des "baigneurs" sur nos côtes. Au début, nous les appelions "les étrangers " puis, ensuite, les "estivants " et maintenant les "touristes " ou les "résidents secondaires ".
Ces résidents secondaires vont, par la suite, notamment au moment de la retraite, devenir pour beaucoup des résidents permanents.
Conquis par le charme de notre île, ces nouveaux venus sont de plus en plus nombreux à se porter acquéreurs de terrains à bâtir ou de maisons traditionnelles dites "de pêcheurs ".
La demande dépassant l'offre, les prix du foncier s'envolent et deviennent inaccessibles aux insulaires.
Quand les anciens décèdent, après avoir vécu avec peu de moyens, leurs descendants héritent d'un bien qui a pris tant de valeur qu'ils sont souvent incapables d'en acquitter les droits de succession, alors, très souvent ils vendent la maison de leur enfance ...
Le produit de cette vente leur permettant pour beaucoup de sortir de la précarité. Qui peut le leur reprocher ?
Avec cet héritage, souvent substantiel, ces descendants vont perdre leur insularité. Ils se tournent vers le continent où, pour des prix très inférieurs à ceux pratiqués sur l'île, ils peuvent acquérir du terrain constructible.
Le mouvement est lancé, et, en quelques décennies, nous sommes devenus minoritaires "chez nous ".
Les Mandin, les Palvadeau, les Guérin, les Fouasson, les Devineau, ces noms si proches, si familiers se font de plus en plus rares ....
Certains le vivent mal, mais au moment ou le monde entier est en mutation (la mondialisation est devenue un fait), quand les européens, qui se sont tant battus au cours des siècles, décident d'oublier ces rancoeurs du passé pour s'unir, au moment où les hommes viennent de découvrir le sixième continent qui se situe partout et curieusement nulle part, en unissant les hommes par un lien invisible et de plus en plus omniprésent, je veux parler d' "INTERNET",
nous devons plutôt apprécier la qualité de ces nouveaux insulaires.

Qui sont-ils ?

- D'abord ils sont venus parce qu'ils aiment notre île !
- Ils nous viennent majoritairement de la région parisienne et des Pays de Loire.
- Beaucoup de retraités jouissant d'une certaine aisance financière : d'ex hauts fonctionnaires ou cadres supérieurs, des commerçants ou entrepreneurs ayant vendu leur entreprise ou commerce etc...
Cette sélection par l'argent aboutit à l'émergence d'une population insulaire de  classe moyenne de très bon niveau.
L'île connaît maintenant un dynamisme culturel remarquable.
Le foisonnement d'associations en tous genre, très actives, notamment dans le domaine des arts et des lettres, en témoigne.
La transition entre la société traditionnelle noirmoutrine et la réalité socio-culturelle d'aujourd'hui s'est opérée sans heurt et en toute harmonie avec les autochtones (ou ce qu'il en reste).

Et ailleurs, sur la côte ?

Sur tout le littoral atlantique, l'intrusion balnéaire a produit des effets comparablesMais chez nous, l'impact fut plus prononcé qu'ailleurs, car, isolés dans notre île, nous étions peut être plus "arriérés ", plus pauvres, plus renfermés sur nous même, en fait, " nous venions de plus loin".

Il faut aussi tenir compte de la rapidité du changement. Exemple, à l'Epine, entre les recensements de 1999 et 2008, l'habitat à l'année gagne 38 logements pendant que le saisonnier augmente son parc de 228 logements, soit six fois plus (Ouest France du 8 mars 2008) Cela est une tendance générale sur l'île sauf ...pour le Bois de la Chaise qui n'a pas ressenti l'intrusion balnéaire en tant que telle et pour cause, la Société des Bains de Mer  du Bois, créée en 1860, avait juste un siècle d'avance.

Normalisation

Aujourd'hui, pour les plus anciens, notre village de l'Epine a perdu en grande partie  sa personnalité, sa spécificité, sa culture. Il ressemble  de plus en plus  à tous les village du littoral, mêmes ronds points, mêmes dispositions de circulations, mêmes contraintes (NATURA 2000,  Plan Local d'Urbanisme etc..) Il en va de même pour les autres villages du canton. 
Mais, malgré tout, notre île a gardé son cachet, son charme, la diversité de ses paysages de marais, de dunes, de forêts de pins du Bois de la Chaise. Paysages que les noirmoutrins ont pu préserver  en évitant le bétonnage des côtes ou les immeubles à plusieurs étages etc...
Et, par bonheur, les nouveaux venus, dans leur ensemble, respectent le style local des maisons d'habitation. 

Le pont

Certains estiment que le pont fut le facteur principal du développement touristique dans l'île. A mon avis, il en serait plutôt la conséquence.
L'intrusion balnèaire est un phénomène général de la seconde moitié du vingtième siècle. Devant l'afflux massif des estivants, le gois devenait insuffisant pour écouler le trafic, et le pont une nécessité.
Noirmoutier n'est plus une île, mais en conserve les principales caractéristiques. Entourée et pénétrée par la mer, elle en garde toute la spécificité.

Conclusion


Merci , chers amis pour votre écoute.

Le sujet évoqué ce soir étai,t il est vrai, un peu délicat. Avec Yvan, nous avons estimé que nous devions nous exprimer en tant qu'anciens  et originaires de l'île.
Bien entendu, nous avons la nostalgie de la culture qui a bercé notre enfance, cela est normal, mais il ne faut rien regretter. Les choses devaient se passer ainsi.

Regretter le passé , c'est courir après le vent ....

Dans cette immense et irrésistible vague mondiale de progrès et de modernisme qui submerge partout les traditions, les coutumes, les savoirs-faires anciens, les cultures ancestrales, NOIRMOUTIER POUVAIT ELLE RESTER UNE ÎLE ??

   

 
 
 


 
 
 

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