Une nouvelle signée Paule Simoneau

"L'escale" une nouvelle signée Paule Simoneau



 

Il y a un an, Paule Simoneau recevait le premier prix du concours de nouvelle libre organisé par l'Arée du Littoral. Elle offre aux lecteurs des "Humeurs de l'île" ce texte extrait d'un ouvrage plus vaste (en cours d'écriture) qui raconte une saga familiale (sa famille) et débute dans les années 50. 
"L'escale" se situe au début de l'histoire de cette famille : sa mère a décidé de s'installer sur l'île avec ses enfants et c'est le grand départ de la région parisienne. Ce texte attachant, met en scène, avec force détails, le voyage qui conduit l'auteure, petite fille de 10 ans, vers sa nouvelle vie au bord de la mer. 
Du bonheur pur pour ceux qui ont connu en vrac : les trains à vapeur, les cars Renoux, le bateau "Le Goulet" qui faisait la traversée de Fromentine à la Fosse, les malles en osier qui partaient en éclaireur vers les destinations de vacances, les troisièmes classes et les compartiments dans les trains... 
Et puis, tous les lecteurs auront de l'empathie pour cette petite fille qui largue les amarres de sa vie de parisienne, entourée de ses grands-parents, pour un ailleurs inconnu et plein d'interrogations.
Paule a vécu sur l'île durant 7 ans, de 10 à 17 ans. Elle est allée à l'école à Barbâtre, puis au collège des Sorbets et ensuite au lycée de Fontenay-le-Comte. Elle a épousé un barbâtrin et la vie les a conduit loin de leur île qu'ils ont fini par retrouver pour y passer leur retraite. 

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L'ESCALE


Malles d'osier et cantines sont prêtes dans l'entrée. Elles partiront avant nous, depuis la gare de Houilles pour Saint Lazare puis gare Monparnasse via la gare de Nantes, d'où elles seront hissées sur la galerie du car Renoux. Elles traverseront le Gois (route submersible dans la mer, praticable à marée basse) et seront enfin débarquées à Barbâtre, premier village au sud de l'île de Noirmoutier.

Quel beau périple ! J'imagine le long train noir, lâchant sa fumée dans un bruit d'enfer sur le long ruban des voies ferrées brillantes, son sifflement strident à l'approche des gares. Le car, chargé de voyageurs, traversant les villages, sur les routes en zigzag, arborées, joyeuses, ensoleillées. La grande aventure commençait avec les bagages.

Remue-ménage, au 22 rue Emile Combe, à Houilles, chez notre grand-père paternel. Nous sommes très excités. Pierrette, Zippi (Danielle), Papou notre petit frère (Sylvain que Grand-Mère surnomme aussi Boulou) et moi. Dans ce tumulte, les recommandations de notre mère fusent : il faut au maximum être efficace et ne pas perdre de temps. Nous quittons la région Parisienne ! Pour toujours ? Oui, répond Maman sur le moment, sans plus de commentaire.

Noirmoutier ? Seul Papou connaissait, mais bien trop jeune pour en parler. Bien sûr, nous avions vu des photos, de Maman et de Papou tout bébé, d'Irène, l'amie de Maman, et de sa fille Yolette, et aussi des visages d'amis que nous ne connaissions pas.

Sur ces photos, Maman est jolie, les cheveux auburn coiffés à l'Aiglon. C'est sans doute la mode ! Elle est jeune et moderne ! Elle porte, l'hiver, des pulls de laine fine à col roulé et des pantalons de lainage à revers, des chaussures basses de cuir gold à semelle épaisses, sport chic, un peu comme un garçon.

L'été, elle affectionne les shorts courts, légèrement évasés, de toile brune, blanche ou marine, avec des chemisiers simples, manches courtes. Parfois, elle s'habille en dame, robes et jupes très amples, la taille serrée par de larges ceintures. Sur les photos, Maman est bronzée, souriante, insouciante, ses yeux bleus encore plus clairs. Il fait beau, chaud, la mer, la soleil, la plage invitent au bonheur !

Noirmoutier ! Si les photos et le dépliant en couleurs disent vrai, j'en rêve !

Mais il y a dans mon coeur un nuage : nous laissons Grand-père Paul et Grand-mère Louise à Carrières-sur-Seine. Cette dernière pleurait à l'idée de ne plus nous revoir que de temps en temps.

J'aimais leur maison originale, construite en partie dans la roche et de pierre meulière, la cour avec son bassin de ciment gris façon tronc d'arbre, plein de poissons multicolores. La fontaine 1900, peuplée de lézards et de grenouilles en bronze, la grande loge grises de la pie Violetta, notre grande cantatrice, qui roulait ses airs d'opéra en se balançant, telle une star sur son escarpolette, nous lançant des oeillades, ce qui ne manquait pas de nous faire rire. Satisfaite de son auditoire, elle saluait, nous l'aimions tellement cette farceuse. Le coin d'herbe rase réservée à Fanfan et Lola, le couple de canards (que Grand-mère aurait bien voulu voir ailleurs pour des questions d'hygiène) Une longue treille ondulait sur les bâtiments et se terminait en une sorte de tonnelle protégeant du grand soleil.

Le dimanche, nous allions très souvent déjeuner chez nos grands-parents paternels. Après le repas, les adultes restaient à discuter dans la salle à manger, les enfants descendaient dans la cour, isolée du passage par un haut mur de pierres et une grosse porte de bois, peinte de couleur ocre. Mes soeurs et moi, jouions à la marchande, à la maîtresse d'école, sur les marches, à la marelle, à la corde à sauter dans le passage, devant la maison, (que bien des passants admiraient) et où, au printemps, rodaient les odeurs des lilas, ainsi que celles, plus puissantes, des giroflées brunes, jaunes et mélangées. Le grand rosier de roses anciennes de la porte d'entrée, fleurissait un peu tard. Il y avait aussi, le jardin-verger du bord de Seine, avec sa balançoire, les goûters, les fous rires avec Bichette, la chèvre capricieuse, qu'il fallait retenir, parce qu'elle montait partout et mangeait toutes les fleurs. Elle donnait également de petits coups de cornes, lorsque nous la contrariions, la chipie ! (Cette biquette, Grand-père l'avait acheté pour Zippi, qui, bébé, ne supportait aucun autre lait)

Nous allons donc vraiment partir. Je pleure parfois le soir, doucement, à côté de Pierrette... nous ne parlons jamais de ce départ. Maman nous a promis une nouvelle maison, toute blanche, avec un grand jardin, à deux pas des pins, des dunes et de la mer.

Nous partons demain. Notre grand-père maternel Frajos (François-Joseph, espagnol comme son nom ne l'indique pas) nous accompagne à la gare. Il parle à sa fille, qui hoche la tête en signe d'approbation. Sur le quai, le train déboule dans un grand bruit de sifflement et de vapeur, il est tout noir, des étincelles s'échappent de sa carcasse, ça sent la bon, la suie...

Par un ciel grand bleu, nous entrons dans l'aventure. Après les adieux, nous nous hissons sur les marches du wagon de troisième classe. Nous nous installons sur des banquettes de bois vernis, je fais la remarque que je préfère celles en moleskine.

Maman lève les yeux au ciel, renoue un ruban dans les cheveux de Zippi, lui défroisse sa robe d'un air pensif. Elle se penche à la fenêtre, échange quelques paroles apparemment réconfortantes avec son père puisqu'il sourit, fait au revoir de la main, revient près de nous, demande de ne pas déballer les sacs, de nous asseoir calmement dix minutes.

Le train s'ébranle pour Saint Lazare. A Paris, nous prenons un taxi, le chauffeur est gentil, il parle avec Maman et l'aide. Direction la gare Montparnasse. Sortis du taxi, Maman porte Papou à califourchon sur sa hanche, ma soeur et moi encadrons Zippi, nous suivons en trottinant le pas rapide de notre mère, elle s'arrête à un guichet, dépose Papou sur le comptoir, sort de son sac sa carte de famille nombreuse, pour les billets. L'affaire réglée, nous repartons dans la direction d'un panneau d'affichage, ça fait rêver tous ces trains qui partent dans toutes les directions. Maman interroge un dame en uniforme, coincée dans une boîte en bois, et nous suivons ses indications. Maman regarde sur le billets, nous sommes sur le bon quai, le train est en gare, longue chenille verte, de wagon en wagon, je claudique sans grimace, j'ai mal à un pied, ça y est j'ai une ampoule ! Mes chaussures neuves ! J'étais prévenue ! "C'est celui-là" dit Maman un peu énervée tout de même !

Toujours cette odeur de liberté, de charbon brûlé, d'escarbilles de suie dans l'air, le bruit intermittent de la vapeur qui s'échappe, le ronronnement des machines prêtes à s'élancer vers l'ailleurs... Monte ! Me dit Maman, réveille-toi ! J'aide le reste de la caravane à progresser vers notre compartiment, où nous sommes seuls pour l'instant. Ma place est près de la fenêtre. C'est un vrai cadeau. Maman installe les valises dans les filets, chacune trouve sa place gentiment. Pierrette a sorti de son sac son petit baigneur et des coloriages, Zippi, un livre magique et des perles, moi, un hebdomadaire pour les grandes. Papou, assis sur les genous de Maman, suce et bave sur les pattes d'une girafe en caoutchouc. Maman s'est acheté des revues.

Le train nous secoue, cahote, hésitant, prend doucement de la vitesse, s'engage hors de la gare couverte, sur l'immense toile d'araignée que forment les voies, qui s'entrecroisent. Enfin, le bon aiguillage et la voie est libre, nous allons rouler, rouler, rouler, très vite vers la mer.

Quelques instants plus tard, du bruit dans le couloir : c'est un homme, il aboie, on ne sait trop quoi, le bruit du train nous empêche de comprendre. Pierrette passe la tête par la porte, c'est un marchand ! Il porte sur son ventre une caisse noire, il vend plein de choses ! Le vendeur avance vers nous avec sa boîte-éventaire : des casse-croûtes, de pains-saucissons, jambon de Paris-beurre, camembert-beurre, pâté-cornichons. Des petites bouteilles d'eau minérale, de limonade, du chocolat, des bonbons, des cigarettes. Il se tient les jambes écartées à chacun de ses arrêts, pour garder l'équilibre, les bouteilles tintent, le décapsuleur se balance au bout de sa chaîne, Maman fait signe : "Monsieur ? S'il vous plaît, quatre jambons beurre" sans demander notre avis. Zippi lorgne les bonbons, demande... puisque nous en avons, c'est non ! Zippi marmonne la bouche pleine de pain, elle se fait reprendre, Pierrette ne dit rien, elle déguste avec délice son pain jambon, que c'est bon ! Notre mère ne parle pas, elle est ailleurs, les yeux peut-être dans sa nouvelle vie... Je regarde le paysage défiler au travers des vitres pas très propres, dans le wagon, les poussières dansent, tournent, inlassablement dans le rayon de soleil. 

Après quelques heures de transport, nous arrivons : le train ralentit, nous sommes presque à la gare de Nantes, trimbalés de la même façon qu'au départ. Maman demande de ranger nos affaires, et nous suivons comme un seul homme !

Nous ne sommes pas attendus, nous prendrons le car ! Les cars sont sur la place ! Des gens attendent, il y a de l'animation, du brouhaha, des exclamations, du va-et-vient. Les voyageurs s'inquiètent de savoir si leurs bagages sont bien montés, avant de s'installer. Arrivent au dernier moment des paquets de journaux et des urgences à remettre, à tel et tel arrêt ! Il est temps ! Le chauffeur et son aide ont chaud, le car démarre, dans le bruit sourd et rôdé du diesel. Nous sommes tous très serrés. Malgré tout, la bonne humeur règne, ça plaisante, ça rigole, ça échange des boutades, certains se retrouvent, et vont boire un verre aux escales, en attendant le départ. Il y a même de drôle de dames habillées bizarrement, qui veulent monter des volailles dans des cages à barreaux, mais pas de place "La basse-cour ?" Elle ira sur le toit, proclame en s'étouffant de rire, l'aide-chauffeur-contrôleur, levant les bras au ciel. Les deux dames en noir ont répliqué "Ah ! Dame mon gars !" la suite, je n'ai pas compris, ils avaient l'air de se connaître, c'est amusant, ce voyage en car. 

Ce n'est pas dans Paris et sa banlieue que l'on voit ce spectacle, j'ai l'impression d'être au bout du monde, le langage de certaines personnes... Je regarde Maman, étonnée, je ne comprends rien ! Maman sourit... Papou, fatigué de tout cela, dort à poings fermés, sa tête roule de gauche à droite sur la poitrine de Maman, une grosse bulle sort de sa bouche, et selon sa respiration, d'autres bulles apparaissent. Nous devons passer par Fromentine, la route du Gois est recouverte par la mer, c'est inquiétant, cette route sous la mer ! Maman explique la marée, la lune, le coefficient, c'est quoi un coefficient ? Je décroche...

Fromentine, tout le monde descend, crie le chauffeur. Dans le tumulte, les voyageurs descendent, prennent leurs biens, certains restent sur place, d'autres sont attendus, et le reste prend le bateau : il y en a deux, le petit pour la Fosse-Noirmoutier, le grand pour l'île d'Yeu. C'est évident, j'aurai aimé embarquer pour l'île d'Yeu simplement pour le nom et l'éloignement en mer, qui tout de suite évoquent pour moi des histoires de pirates, de corsaires, de jeunes filles enlevées sur des chevaux noirs écumants de vitesse... 

Nous traverserons à bord du petit, nous sommes sur l'embarcadère, je ne sais pourquoi, j'ai mal au coeur, peut-être les bonbons... Il ne faut pas que je regarde entre les planches de l'estacade, c'est le mouvement des vagues qui me rend toute cacamouillette, ce n'est pas le moment, je ne dis rien, et serre la main de Zippi, qui se prend les pieds dans des trucs qui dépassent. Quant à moi, j'ai carrément peur de tomber dans l'eau par les trouées entre les planches, pourquoi ne sont-elles pas plus rapprochées ? Et puis, cette sensation bizarre de vertige, mais chuuut, ne dis rien, lève les pieds, regarde en l'air ! Cela ne va pas vraiment mieux. 

Maman s'exclame, regardez les filles ! C'est la mer, je suis carrément déçue, ça ressemble à un lac du Jura, en plus petit, on voit les bords de partout, c'est ça l'océan ? Je regrette d'avoir rêvé ! De toute manière, je n'ai pas de courage pour affronter Maman sur l'instant ! Nous sommes devant l'embarcation, le bateau tremble sous des teuf-teuf-teuf, hoquetant, vomissant de l'eau, par un trou rouillé. Nous montons à bord avec les bagages, le bateau bouge, ce n'est pas si simple d'enjamber le bord. Heureusement, un matelot nous aide pour le transbordement. Maman et Sylvain passent en dernier, la famille est rassemblée, pas très loquace sur le pont. Le bateau paraît complet, mais non ! On pousse, on entasse. Traversée du goulet ! Dix minutes, gueule le marin, de sa voix forte, s'adressant aux vacanciers. Des bruits de chaînes, des secousses, font penser que le matelot a amarré au ponton.

Nous sommes bien côté île, les dos bougent, tout le monde en avant, puis tout le monde en arrière, pas très drôle, c'est à nous de sortir. Maman voulait nous montrer les bateaux de guerre coulés, nous les verrons plus tard, il faut les voir à marée basse, c'est mieux, oui, oui, sans doute... Nous avons les pieds sur le débarcadère, de nouveau la mer entre les traverses, les espaces semblent plus larges encore, j'en ai marre, mais marre, marre ! C'est la fin du voyage, tant mieux. A ce moment-là, je ne sais plus si je suis contente ou pas.

La famille est attendue sur la terre ferme, un monsieur sympathique à casquette blanche fait de grands signes, il se prénomme Yan, c'est le propriétaire de la nouvelle maison, Maman le connaît un peu. Il nous propose aimablement d'aller nous désaltérer, puis de déjeuner, puisqu'il est plus de treize heures, c'est d'accord. Nous allons chez Bossi, où nous buvons rapidement notre menthe à l'eau, pour descendre sur la plage pendant que Maman parle avec le Yan. Papou est resté collé à sa mère comme une bernique à son rocher, tant mieux, nous n'aurons pas à le surveiller. Nous ôtons nos vêtements, nous sommes en culottes Petit-Bateau, les vagues nous baignent les pieds jusqu'aux chevilles, nous sommes prudentes, le ressac me donne le mal de mer, nous sautons, joyeuses, les premières vagues. Sur la plage des masses étranges ! Gélatineuses ! Des bêtes monstrueuses, sans yeux ! Pleine de pattes molles ! Sur leur dos luisants dans des petits casiers, des trèfles à quatre feuilles sont pris dans la gelée, c'est tellement joli ! Pas bien rassurée tout de même, j'en touche une petite par curiosité, comme elle ne bouge pas, je la retourne brusquement, elle est lourde, en tombant sur le dos elle fait plouf et encore un autre bruit, comme puiiiich, puiiiich... surprise, je recule vivement, mes soeurs aussi, j'attends, j'écoute, ses pattes immatérielles se replient lentement, son ventre se dégonfle dan un gros rôt bruyant, puis, plus rien, la gélatine est morte, une dentelle découpée, magnifiquement ourlée de bleu-rose, de violet, se gondole par endroit dans un froncé aussi compliqué que la fraise du jabot d'Henri IV ! Je deviens triste tout à coup, je pense à grand-mère Louise, elle ne découvrira rien de tout ça avec nous. 

Maman nous appelle pour déjeuner, je ne sais plus ce que nous avons mangé, du poisson sans doute, avec une purée peut-être... mais je me souviens d'une glace à la vanille, tellement bonne, tellement froide. Nous sommes tous fatigués, Yan nous conduit en auto jusqu'à notre nouvelle maison, il fait beau et chaud, de fortes odeurs marines mélangées à celles de la dune et des pins nous étourdissent. Nous descendons de voiture, devant une maison si blanche que nous clignons des yeux. Nous savons déjà qu'ici nous serons bien.

A dix ans, d'autres aventures surviendront, et puis cela fait partie de l'histoire de la famille, les grands voyages : la France, l'Espagne, l'Indochine, l'Afrique du Nord, de l'Est, du Centre, la Turquie, la Russie, il faut vraiment que quelque chose se passe ! Une île ! C'est peut-être juste une escale... comment savoir...






Commentaires

  1. par hasard je viens de te voir sur un site tu es toujours la meme.....
    je n'ai pas lu ton livre , je vais le chercher

    bise à POP & MIMIT

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